MUREL, GRUCHET, MADAME ROUSSELIN, ONÉSIME, LOUISE, MISS ARABELLE, un livre à la main.
MUREL, présentant son bouquet à Mme Rousselin : Permettez-moi, madame de vous offrir...
MADAME ROUSSELIN, jetant le bouquet sur le guéridon à gauche : Merci, monsieur !
MISS ARABELLE : Oh ! les splendides gardénias !... et où peut-on trouver des fleurs aussi rares ?
MUREL : Chez moi, miss Arabelle, dans ma serre !
ONÉSIME, avec impertinence : Monsieur possède une serre ?
MUREL : Chaude ! oui, monsieur !
LOUISE : Et rien ne lui coûte pour être agréable à ses amis !
MADAME ROUSSELIN : Si ce n’est, peut-être, d’oublier ses préférences politiques.
MUREL, à Louise, à demi-voix : Votre mère aujourd’hui est d’une froideur !...
LOUISE, de même, comme pour l’apaiser : Oh !
MADAME ROUSSELIN, à droite, assise devant une petite table : Ici, près de moi, cher vicomte ! Approchez, monsieur Gruchet ! Eh bien, a-t-on fini par découvrir un candidat ? Que dit-on ?
GRUCHET : Une foule de choses, madame. Les uns...
ONÉSIME, lui coupant la parole : Mon père affirme que M. Rousselin n’aurait qu’à se présenter...
MADAME ROUSSELIN, vivement : Vraiment ! c’est son avis ?
ONÉSIME : Sans doute ! et tous nos paysans qui savent que leur intérêt bien entendu s’accorde avec ses idées...
GRUCHET : Cependant, elles diffèrent un peu des principes de 89 !
ONÉSIME, riant aux éclats : Ah ! ah ! ah ! les immortels principes de 89 !
GRUCHET : De quoi riez-vous ?
ONÉSIME : Mon père rit toujours quand il entend ce mot-là.
GRUCHET : Eh ! sans 89, il n’y aurait pas de députés !
MISS ARABELLE : Vous avez raison, monsieur Gruchet, de défendre le Parlement. Lorsqu’un gentleman est là, il peut faire beaucoup de bien !
GRUCHET : D’abord on habite Paris pendant l’hiver.
MADAME ROUSSELIN : Et c’est quelque chose ! Louise, rapproche-toi donc !... Car le séjour de la province, n’est-ce pas, monsieur Murel, à la longue, fatigue ?
MUREL, vivement : Oui, madame ! (bas à Louise.) On y peut cependant trouver le bonheur !
GRUCHET : Comme si cette pauvre province ne contenait que des sots !
MISS ARABELLE, avec exaltation : Oh ! non ! non ! Des cœurs nobles palpitent à l’ombre de nos vieux bois ; la rêverie se déroule plus largement sur les plaines ; dans des coins obscurs, peut-être, il y a des talents ignorés, un génie qui rayonnera ! (Elle s’assied.)
MADAME ROUSSELIN : Quelle tirade, ma chère ! Vous êtes plus que jamais en veine poétique !
ONÉSIME : Mademoiselle, en effet, sauf un léger accent, nous a détaillé tout à l’heure, le Lac de M. de Lamartine... d’une façon...
MADAME ROUSSELIN : Mais vous connaissez la pièce ?
ONÉSIME : On ne m’a pas encore permis de lire cet auteur.
MADAME ROUSSELIN : Je comprends ! une éducation... sérieuse ! (Lui passant sur les poignets un écheveau de laine à dévider.) Auriez-vous l’obligeance ?... Les bras toujours étendus ! fort bien !
ONÉSIME : Oh ! je sais Et même, je suis pour quelque chose dans ce paysage en perles que vous a donné ma sœur Elisabeth !
MADAME ROUSSELIN : Un ouvrage charmant ; il est suspendu dans ma chambre ! Louise, quand tu auras fini de regarder l’Illustration...
MUREL, à part : On se méfie de moi, c’est clair.
MADAME ROUSSELIN : J’ai admiré, du reste, les talents de vos autres sœurs, la dernière fois que nous avons été au château de Bouvigny.
ONÉSIME : [Ma mère y recevra prochainement la visite de mon grand-oncle, l’évêque de Saint-Giraud.
MADAME ROUSSELIN : Monseigneur de Saint-Giraud votre oncle !
ONÉSIME : Oui ! le parrain de mon père.
MADAME ROUSSELIN : Il nous oublie, le cher Comte, c’est un ingrat !] [[LA CENSURE ne permettant pas le mot évêque ni le mot monseigneur, Mme Rousselin : … Au château de Bouvigny, mais votre père nous oublie. C’est un ingrat.]]
ONÉSIME : Oh ! non ! car il a demandé pour tantôt un rendez-vous à M. Rousselin.
MADAME ROUSSELIN, l’air satisfait : Ah !
ONÉSIME : Il veut l’entretenir d’une chose... Et je crois même que j’ai vu entrer tout à l’heure maître Dodart.
MUREL, à part : Le notaire ! Est-ce que déjà ?...
MISS ARABELLE : En effet ! Et après est venu Marchais, l’épicier, puis M. Bondois, M. Liégeard, d’autres encore.
MUREL, à part : Diable, qu’est-ce que cela veut dire ?