LES MÊMES, JULIEN.
MUREL : Mon petit Duprat, vous ne verrez pas M. Rousselin !
JULIEN : Je ne pourrai pas voir...
MUREL : Non ! Nous sommes brouillés... sur la politique.
JULIEN : Je ne comprends pas ! Tantôt vous êtes venu chez moi me démontrer qu’il fallait soutenir M. Rousselin, en me donnant une foule de raisons..., que j’ai été redire à M. Gruchet. Il les a, de suite, acceptées, d’autant plus qu’il désire...
GRUCHET : Ceci entre nous, mon cher ! C’est une autre question, qui ne concerne pas Rousselin.
JULIEN : Pourquoi n’en veut-on plus ?
MUREL : Je vous le répète, ce n’est pas l’homme de notre parti.
GRUCHET, avec fatuité : Et on en trouvera un autre !
MUREL : Vous saurez lequel. Allons-nous en ! On ne conspire pas chez l’ennemi.
JULIEN : L’ennemi ? Rousselin !
MUREL : Sans doute ; et vous aurez l’obligeance de l’attaquer, dans l’Impartial, vigoureusement !
JULIEN : Pourquoi cela ? Je ne vois pas de mal à en dire.
GRUCHET : Avec de l’imagination, on en trouve.
JULIEN : Je ne suis pas fait pour ce métier.
GRUCHET : Écoutez donc ! Vous êtes venu à moi le premier m’offrir vos services, et sachant que j’étais l’ami de Rousselin, vous m’avez prié, — c’est le mot, — de vous introduire chez lui.
JULIEN : A peine y suis-je que vous m’en arrachez !
GRUCHET : Ce n’est pas ma faute si les choses ont pris, tout à coup, une autre direction.
JULIEN : Est-ce la mienne ?
GRUCHET : Mais comme il était bien convenu entre nous deux que vous entameriez une polémique contre la Société des Tourbières de Grumesnil-les-Arbois, président le comte de Bouvigny, en démontrant l’incapacité financière dudit sieur, — une affaire superbe dont ce gredin de Dodart m’a exclu !...
MUREL, à part : Ah ! voilà le motif de leur alliance !
GRUCHET : Jusqu’à présent, vous n’en avez rien fait ; donc, c’est bien le moins, cette fois, que vous vous exécutiez ! Ce qu’on vous demande, d’ailleurs, n’est pas tellement difficile...
JULIEN : N’importe ! Je refuse.
MUREL : Julien, vous oubliez qu’aux termes de notre engagement...
JULIEN : Oui, je sais ! Vous m’avez pris pour faire des découpures dans les autres feuilles, écrire toutes les histoires de chiens perdus, noyades, incendies, accidents quelconques, et rapetisser à la mesure de l’esprit local les articles des confrères parisiens, en style plat ; c’est une exigence, chaque métaphore enlève un abonnement. Je dois aller aux informations, écouter les réclamations, recevoir toutes les visites, exécuter un travail de forçat, mener une vie d’idiot, et n’avoir, en quoi que ce soit, jamais d’initiative ! Eh bien, une fois par hasard, je demande grâce !
MUREL : Tant pis pour vous !
GRUCHET : Alors il ne fallait pas prendre cette place !
JULIEN : Si j’en avais une autre !
GRUCHET : Quand on n’a pas de quoi vivre, c’est pourtant bien joli !
JULIEN, s’éloignant : Ah ! la misère !
MUREL : Laissons-le bouder ! Asseyons-nous, pour que j’écrive votre profession de foi.
GRUCHET : Très volontiers ! (Ils s’assoient.)
JULIEN, un peu remonté au fond : Comme je m’enfuirais à la grâce de Dieu, n’importe où, si tu n’étais pas là, mon pauvre amour. (Regardant la maison de Rousselin.) Oh ! je ne veux pas que dans ta maison, aucune douleur, fût-ce la moindre, survienne à cause de moi ! Que les murs qui t’abritent soient bénis ! Mais... sous les acacias, il me semble… qu’une robe ?... Disparue ! Plus rien ! Adieu ! (Il s’éloigne.)
GRUCHET, le rappelant : Restez donc ; nous avons quelque chose à vous montrer !
JULIEN : Ah ! j’en ai assez de vos sales besognes ! (Il sort.)
MUREL, tendant le papier à Gruchet : Qu’en pensez-vous ?
GRUCHET : C’est très bien ; merci !... Cependant...
MUREL : Qu’avez-vous ?
GRUCHET : Rousselin m’inquiète !
MUREL : Un homme sans conséquence !
GRUCHET : Eh ! vous ne savez pas de quoi il est capable — au fond ! Et puis, le jeune Duprat ne m’a pas l’air extrêmement chaud.
MUREL : Son entêtement à ménager Rousselin doit avoir une cause.
GRUCHET : Eh ! il est amoureux de Louise !
MUREL : Qui vous l’a dit ?
GRUCHET : Rousselin lui-même !
MUREL, à part : Un autre rival ! Bah ! j’en ai roulé des plus solides ! Ecoutez-moi ; je vais le rejoindre pour le catéchiser ; vous, pendant ce temps-là, faites imprimer la profession de foi ; voyez tous vos amis, et trouvez-vous ici dans deux heures.
GRUCHET : Convenu ! (Il sort.)
MUREL : Et maintenant, M. Rousselin, c’est vous qui m’offrirez votre fille. (Il sort.)
FIN DU PREMIER ACTE