Bouvard et Pécuchet

Rédaction
1872-1880
Première édition
Paris, Alphonse Lemerre, 1881
Édition choisie
Paris, GF Flammarion, 2008
Saisie par
Stéphanie Dord-Crouslé
Détails

L’idée d’écrire une « espèce d’encyclopédie critique en farce » remonte loin dans les projets de Flaubert, dans les années cinquante, quand il pense à un Dictionnaire des idées reçues. À partir d’un plan esquissé en 1869, il consacre d’abord deux années à la préparation de son roman, d’août 1872 à juillet 1874. Il interrompt la rédaction un an plus tard, en juin 1875, en raison de la ruine de sa nièce et des difficultés du sujet. Il écrit alors Trois contes, pendant une parenthèse de deux années. Il reprend la rédaction en mars 1877. Il meurt le 8 mai 1880, laissant inachevé le dernier chapitre de son roman et le second volume, qui aurait dû inclure le Dictionnaire des idées reçues. Le premier volume a paru à titre posthume chez Lemerre en 1881.

Avec l'aimable autorisation des éditions Flammarion, le texte proposé est celui établi par Stéphanie Dord-Crouslé pour la coll. «GF», 2008.
Ce texte en ligne prend en compte les améliorations et corrections apportées à la dernière édition. Voir ces corrections.

Édition Alphonse Lemerre, 1881, en ligne sur Gallica.

Documentation.

Chapitrage

Bouvard et Pécuchet

Rédaction
1872-1880
Première édition
Paris, Alphonse Lemerre, 1881
Édition choisie
Paris, GF Flammarion, 2008
Saisie par
Stéphanie Dord-Crouslé
Détails

L’idée d’écrire une « espèce d’encyclopédie critique en farce » remonte loin dans les projets de Flaubert, dans les années cinquante, quand il pense à un Dictionnaire des idées reçues. À partir d’un plan esquissé en 1869, il consacre d’abord deux années à la préparation de son roman, d’août 1872 à juillet 1874. Il interrompt la rédaction un an plus tard, en juin 1875, en raison de la ruine de sa nièce et des difficultés du sujet. Il écrit alors Trois contes, pendant une parenthèse de deux années. Il reprend la rédaction en mars 1877. Il meurt le 8 mai 1880, laissant inachevé le dernier chapitre de son roman et le second volume, qui aurait dû inclure le Dictionnaire des idées reçues. Le premier volume a paru à titre posthume chez Lemerre en 1881.

Avec l'aimable autorisation des éditions Flammarion, le texte proposé est celui établi par Stéphanie Dord-Crouslé pour la coll. «GF», 2008.
Ce texte en ligne prend en compte les améliorations et corrections apportées à la dernière édition. Voir ces corrections.

Édition Alphonse Lemerre, 1881, en ligne sur Gallica.

Documentation.

VIII

IX

Marcel reparut le lendemain à trois heures, la face verte, les yeux rouges, une bigne au front, le pantalon déchiré, empestant l’eau-de-vie, immonde.

Il avait été, selon sa coutume annuelle, à six lieues de là, près d’Iqueuville faire le réveillon chez un ami ; – et bégayant plus que jamais, pleurant, voulant se battre, il implorait sa grâce comme s’il eût commis un crime. Ses maîtres l’octroyèrent. Un calme singulier les portait à l’indulgence.

La neige avait fondu tout à coup – et ils se promenaient dans leur jardin, humant l’air tiède, heureux de vivre.

Était-ce le hasard seulement, qui les avait détournés de la mort ? Bouvard se sentait attendri. Pécuchet se rappela sa première communion ; et pleins de reconnaissance pour la Force, la Cause dont ils dépendaient, l’idée leur vint de faire des lectures pieuses.

L’Évangile dilata leur âme, les éblouit comme un soleil. Ils apercevaient Jésus, debout sur la montagne, un bras levé, la foule en dessous l’écoutant – ou bien au bord du lac, parmi les apôtres qui tirent des filets – puis sur l’ânesse, dans la clameur des alléluias, la chevelure éventée par les palmes frémissantes – enfin au haut de la croix, inclinant sa tête, d’où tombe éternellement une rosée sur le monde. Ce qui les gagna, ce qui les délectait, c’est la tendresse pour les humbles, la défense des pauvres, l’exaltation des opprimés. Et dans ce livre où le ciel se déploie, rien de théologal ; au milieu de tant de préceptes, pas un dogme ; nulle exigence que la pureté du cœur.

Quant aux miracles, leur raison n’en fut pas surprise ; dès l’enfance, ils les connaissaient. La hauteur de saint Jean ravit Pécuchet – et le disposa à mieux comprendre l’Imitation.

Ici, plus de paraboles, de fleurs, d’oiseaux – mais des plaintes, un resserrement de l’âme sur elle-même. Bouvard s’attrista en feuilletant ces pages, qui semblent écrites par un temps de brume, au fond d’un cloître, entre un clocher et un tombeau. Notre vie mortelle y apparaît si lamentable qu’il faut, l’oubliant, se retourner vers Dieu ; – et les deux bonshommes, après toutes leurs déceptions, éprouvaient le besoin d’être simples, d’aimer quelque chose, de se reposer l’esprit.

Ils abordèrent l’Ecclésiaste, Isaïe, Jérémie.

Mais la Bible les effrayait avec ses prophètes à voix de lion, le fracas du tonnerre dans les nues, tous les sanglots de la Géhenne, et son Dieu dispersant les empires, comme le vent fait des nuages.

Ils lisaient cela le dimanche, à l’heure des vêpres, pendant que la cloche tintait.

Un jour, ils se rendirent à la messe, puis y retournèrent. C’était une distraction au bout de la semaine. Le comte et la comtesse de Faverges les saluèrent de loin, ce qui fut remarqué. Le juge de paix leur dit, en clignant de l’œil : — « Parfait ! je vous approuve. » Toutes les bourgeoises, maintenant leur envoyaient le pain bénit.

L’abbé Jeufroy leur fit une visite ; ils la rendirent, on se fréquenta ; et le prêtre ne parlait pas de religion.

Ils furent étonnés de cette réserve ; si bien que Pécuchet, d’un air indifférent, lui demanda comment s’y prendre pour obtenir la foi.

— « Pratiquez, d’abord. »

Ils se mirent à pratiquer, l’un avec espoir, l’autre par défi, Bouvard étant convaincu qu’il ne serait jamais un dévot. Un mois durant, il suivit régulièrement tous les offices, mais, à l’encontre de Pécuchet, ne voulut pas s’astreindre au maigre.

Était-ce une mesure d’hygiène ? On sait ce que vaut l’hygiène ! Une affaire de convenance ? À bas les convenances ! Une marque de soumission envers l’Église ? Il s’en fichait également ! bref, déclarait cette règle absurde, pharisaïque, et contraire à l’esprit de l’Évangile.

Le Vendredi saint des autres années, ils mangeaient ce que Germaine leur servait.

Mais Bouvard cette fois, s’était commandé un beefsteak. Il s’assit, coupa la viande ; – et Marcel le regardait scandalisé, tandis que Pécuchet dépiautait gravement sa tranche de morue.

Bouvard restait la fourchette d’une main, le couteau de l’autre. Enfin se décidant, il monta une bouchée à ses lèvres. Tout à coup ses mains tremblèrent, sa grosse mine pâlit, sa tête se renversait.

— « Tu te trouves mal ? »

— « Non !... Mais !... » Et il fit un aveu. Par suite de son éducation (c’était plus fort que lui) il ne pouvait manger du gras ce jour-là, dans la crainte de mourir.

Pécuchet, sans abuser de sa victoire, en profita pour vivre à sa guise.

Un soir, il rentra la figure empreinte d’une joie sérieuse, et lâchant le mot, dit qu’il venait de se confesser.

Alors, ils discutèrent l’importance de la confession.

Bouvard admettait celle des premiers chrétiens qui se faisait en public. La moderne est trop facile. Cependant il ne niait pas que cette enquête sur nous-mêmes ne fût un élément de progrès, un levain de moralité.

Pécuchet, désireux de la perfection, chercha ses vices. Les bouffées d’orgueil depuis longtemps étaient parties. Son goût du travail l’exemptait de la paresse. Quant à la gourmandise, personne de plus sobre. Quelquefois des colères l’emportaient. Il se jura de n’en plus avoir.

Ensuite, il faudrait acquérir les vertus, premièrement l’humilité ; – c’est-à-dire se croire incapable de tout mérite, indigne de la moindre récompense, immoler son esprit, et se mettre tellement bas que l’on vous foule aux pieds comme la boue des chemins. Il était loin encore de ces dispositions.

Une autre vertu lui manquait : la chasteté. Car intérieurement, il regrettait Mélie, et le pastel de la dame en robe Louis XV, le gênait avec son décolletage.

Il l’enferma dans une armoire, redoubla de pudeur jusques à craindre de porter ses regards sur lui-même, et couchait avec un caleçon.

Tant de soins autour de la luxure la développèrent. Le matin principalement il avait à subir de grands combats – comme en eurent saint Paul, saint Benoît et saint Jérôme, dans un âge fort avancé. De suite, ils recouraient à des pénitences furieuses. La douleur est une expiation, un remède et un moyen, un hommage à Jésus-Christ. Tout amour veut des sacrifices – et quel plus pénible que celui de notre corps !

Afin de se mortifier, Pécuchet supprima le petit verre après les repas, se réduisit à quatre prises dans la journée, par les froids extrêmes ne mettait plus de casquette.

Un jour, Bouvard qui rattachait la vigne, posa une échelle contre le mur de la terrasse près de la maison – et sans le vouloir, se trouva plonger dans la chambre de Pécuchet.

Son ami, nu jusqu’au ventre, avec le martinet aux habits, se frappait les épaules doucement, puis s’animant, retira sa culotte, cingla ses fesses, et tomba sur une chaise, hors d’haleine.

Bouvard fut troublé comme à la découverte d’un mystère, qu’on ne doit pas surprendre.

Depuis quelque temps, il remarquait plus de netteté sur les carreaux, moins de trous aux serviettes, une nourriture meilleure – changements qui étaient dus à l’intervention de Reine, la servante de M. le curé.

Mêlant les choses de l’église à celles de sa cuisine, forte comme un valet de charrue et dévouée bien qu’irrespectueuse, elle s’introduisait dans les ménages, donnait des conseils, y devenait maîtresse. Pécuchet se fiait absolument à son expérience.

Une fois, elle lui amena un individu replet, ayant de petits yeux à la chinoise, un nez en bec de vautour. C’était M. Goutman, négociant en articles de piété. Il en déballa quelques-uns, enfermés dans des boîtes, sous le hangar : croix, médailles et chapelets de toutes les dimensions, candélabres pour oratoires, autels portatifs, bouquets de clinquant – et des sacrés-cœurs en carton bleu, des saint Joseph à barbe rouge, des calvaires de porcelaine. Pécuchet les convoita. Le prix seul l’arrêtait.

Goutman ne demandait pas d’argent. Il préférait les échanges, et monté dans le muséum, il offrit, contre les vieux fers et tous les plombs, un stock de ses marchandises.

Elles parurent hideuses à Bouvard. Mais l’œil de Pécuchet, les instances de Reine et le bagout du brocanteur finirent par le convaincre. Quand il le vit si coulant, Goutman voulut, en outre, la hallebarde ; Bouvard, las d’en avoir démontré la manœuvre, l’abandonna. L’estimation totale étant faite, ces messieurs devaient encore cent francs. On s’arrangea, moyennant quatre billets à trois mois d’échéance – et ils s’applaudirent du bon marché.

Leurs acquisitions furent distribuées dans tous les appartements. Une crèche remplie de foin et une cathédrale de liège décorèrent le muséum. Il y eut sur la cheminée de Pécuchet, un saint Jean-Baptiste en cire, le long du corridor les portraits des gloires épiscopales, et au bas de l’escalier, sous une lampe à chaînettes, une sainte Vierge en manteau d’azur et couronnée d’étoiles. Marcel nettoyait ces splendeurs, n’imaginant au paradis rien de plus beau.

Quel dommage que le saint Pierre fût brisé et comme il aurait fait bien dans le vestibule ! Pécuchet s’arrêtait parfois devant l’ancienne fosse aux composts, où l’on reconnaissait la tiare, une sandale, un bout d’oreille, lâchait des soupirs, puis continuait à jardiner. Car maintenant, il joignait les travaux manuels aux exercices religieux – et bêchait la terre, vêtu de la robe de moine, en se comparant à saint Bruno. Ce déguisement pouvait être un sacrilège ; il y renonça.

Mais il prenait le genre ecclésiastique, sans doute par la fréquentation du curé. Il en avait le sourire, la voix, et d’un air frileux glissait comme lui dans ses manches ses deux mains jusqu’aux poignets. Un jour vint où le chant du coq l’importuna ; les roses l’ennuyaient ; il ne sortait plus, ou jetait sur la campagne des regards farouches.

Bouvard se laissa conduire au mois de Marie. Les enfants qui chantaient des hymnes, les gerbes de lilas, les festons de verdure, lui avaient donné comme le sentiment d’une jeunesse impérissable. Dieu se manifestait à son cœur par la forme des nids, la clarté des sources, la bienfaisance du soleil ; – et la dévotion de son ami lui semblait extravagante, fastidieuse.

— « Pourquoi gémis-tu pendant le repas ? »

— « Nous devons manger en gémissant » répondit Pécuchet « car l’homme par cette voie, a perdu son innocence » phrase qu’il avait lue dans le Manuel du séminariste, deux volumes in-12 empruntés à M. Jeufroy. Et il buvait de l’eau de la Salette, se livrait portes closes à des oraisons jaculatoires, espérait entrer dans la confrérie de Saint-François.

Pour obtenir le don de persévérance, il résolut de faire un pèlerinage à la sainte Vierge.

Le choix des localités l’embarrassa. Serait-ce à Notre-Dame de Fourvière, de Chartres, d’Embrun, de Marseille ou d’Auray ? Celle de la Délivrande, plus proche, convenait aussi bien. — « Tu m’accompagneras ! »

— « J’aurais l’air d’un cornichon » dit Bouvard.

Après tout, il pouvait en revenir croyant, ne refusait pas de l’être, et céda par complaisance.

Les pèlerinages doivent s’accomplir à pied. Mais quarante-trois kilomètres seraient durs ; – et les gondoles n’étant pas congruentes à la méditation, ils louèrent un vieux cabriolet, qui après douze heures de route les déposa devant l’auberge.

Ils eurent une pièce à deux lits, avec deux commodes, supportant deux pots à l’eau dans des petites cuvettes ovales, et l’hôtelier leur apprit que c’était « la chambre des capucins ». Sous la Terreur on y avait caché la Dame de la Délivrande avec tant de précaution que les bons Pères y disaient la messe clandestinement.

Cela fit plaisir à Pécuchet, et il lut tout haut une notice sur la chapelle, prise en bas dans la cuisine.

Elle a été fondée au commencement du IIe siècle par saint Régnobert, premier évêque de Lisieux, ou par saint Ragnebert qui vivait au VIIe, ou par Robert le Magnifique au milieu du XIe.

Les Danois, les Normands et surtout les protestants l’ont incendiée et ravagée à différentes époques.

Vers 1112, la statue primitive fut découverte par un mouton, qui en frappant du pied dans un herbage, indiqua l’endroit où elle était. Sur cette place le comte Baudouin érigea un sanctuaire.

Ses miracles sont innombrables. Un marchand de Bayeux captif chez les Sarrasins l’invoque, ses fers tombent et il s’échappe. Un avare découvre dans son grenier un troupeau de rats, l’appelle à son secours et les rats s’éloignent. Le contact d’une médaille ayant effleuré son effigie fit se repentir au lit de mort un vieux matérialiste de Versailles. Elle rendit la parole au sieur Adeline qui l’avait perdue pour avoir blasphémé. Et par sa protection, M. et Mme de Becqueville eurent assez de force pour vivre chastement en état de mariage.

On cite parmi ceux qu’elle a guéris d’affections irrémédiables Mlle de Palfresne, Anne Lorieux, Marie Duchemin, François Dufai, et Mme de Jumillac, née d’Osseville.

Des personnages considérables l’ont visitée : Louis XI, Louis XIII, deux filles de Gaston d’Orléans, le cardinal Wiseman, Samirrhi, patriarche d’Antioche, Mgr Véroles, vicaire apostolique de la Mandchourie ; – et l’archevêque de Quélen vint lui rendre grâce pour la conversion du prince de Talleyrand.

— « Elle pourra » dit Pécuchet « te convertir aussi ! »

Bouvard déjà couché, eut une sorte de grognement, et s’endormit tout à fait.

Le lendemain à six heures, ils entraient dans la chapelle.

On en construisait une autre. – Des toiles et des planches embarrassaient la nef et le monument de style rococo, déplut à Bouvard, surtout l’autel de marbre rouge, avec ses pilastres corinthiens.

La statue miraculeuse dans une niche à gauche du chœur est enveloppée d’une robe à paillettes. Le bedeau survint, ayant pour chacun d’eux un cierge. Il le planta sur une manière de herse dominant la balustrade, demanda trois francs, fit une révérence, et disparut.

Ensuite ils regardèrent les ex-voto.

Des inscriptions sur plaques témoignent de la reconnaissance des fidèles. On admire deux épées en sautoir offertes par un ancien élève de l’École polytechnique, des bouquets de mariée, des médailles militaires, des cœurs d’argent, et dans l’angle au niveau du sol, une forêt de béquilles.

De la sacristie déboucha un prêtre portant le saint ciboire.

Quand il fut resté quelques minutes au bas de l’autel, il monta les trois marches, dit l’Oremus, l’Introït et le Kyrie, que l’enfant de chœur à genoux récita tout d’une haleine.

Les assistants étaient rares, douze ou quinze vieilles femmes. On entendait le froissement de leurs chapelets, et le bruit d’un marteau cognant des pierres. Pécuchet incliné sur son prie-Dieu répondait aux amens. Pendant l’élévation il supplia Notre-Dame de lui envoyer une foi constante et indestructible.

Bouvard dans un fauteuil, à ses côtés, lui prit son eucologe, et s’arrêta aux litanies de la Vierge.

— « Très pure, très chaste, vénérable, aimable – puissante, clémente – tour d’ivoire, maison d’or, porte du matin » ces mots d’adoration, ces hyperboles l’emportèrent vers celle qui est célébrée par tant d’hommages.

Il la rêva comme on la figure dans les tableaux d’église, sur un amoncellement de nuages, des chérubins à ses pieds, l’enfant-Dieu à sa poitrine – mère des tendresses que réclament toutes les afflictions de la terre, – idéal de la femme transportée dans le ciel. Car sorti de ses entrailles l’homme exalte son amour et n’aspire qu’à reposer sur son cœur.

La messe étant finie, ils longèrent les boutiques qui s’adossent contre le mur du côté de la place. On y voit des images, des bénitiers, des urnes à filets d’or, des Jésus-Christ en noix de coco, des chapelets d’ivoire ; – et le soleil, frappant les verres des cadres, éblouissait les yeux, faisait ressortir la brutalité des peintures, la hideur des dessins. Bouvard, qui chez lui trouvait ces choses abominables, fut indulgent pour elles. Il acheta une petite Vierge en pâte bleue. Pécuchet comme souvenir se contenta d’un rosaire.

Les marchands criaient : — « Allons ! allons ! Pour cinq francs, pour trois francs, pour soixante centimes, pour deux sols ! Ne refusez pas Notre-Dame ! »

Les deux pèlerins flânaient sans rien choisir. Des remarques désobligeantes s’élevèrent :

— « Qu’est-ce qu’ils veulent ces oiseaux-là ? »

— « Ils sont peut-être des Turcs ! »

— « Des protestants, plutôt ! »

Une grande fille tira Pécuchet par la redingote. Un vieux en lunettes lui posa la main sur l’épaule ; tous braillaient à la fois ; puis quittant leurs baraques, ils vinrent les entourer, redoublaient de sollicitations et d’injures.

Bouvard n’y tint plus : — « Laissez-nous tranquilles, nom de Dieu ! » La tourbe s’écarta.

Mais une grosse femme les suivit quelque temps sur la place, et cria qu’ils s’en repentiraient.

En rentrant à l’auberge, ils trouvèrent dans le café Goutman. Son négoce l’appelait en ces parages – et il causait avec un individu examinant des bordereaux, sur la table, devant eux.

Cet individu avait une casquette de cuir, un pantalon très large, le teint rouge et la taille fine, malgré ses cheveux blancs, l’air à la fois d’un officier en retraite, et d’un vieux cabotin.

De temps à autre, il lâchait un juron, puis sur un mot de Goutman dit plus bas, se calmait de suite, et passait à un autre papier.

Bouvard qui l’observait, au bout d’un quart d’heure s’approcha de lui.

— « Barberou, je crois ? »

— « Bouvard ! » s’écria l’homme à la casquette, et ils s’embrassèrent.

Barberou depuis vingt ans avait enduré toutes sortes de fortunes, gérant d’un journal, commis d’assurances, directeur d’un parc aux huîtres ; — « Je vous conterai cela ». Enfin revenu à son premier métier, il voyageait pour une maison de Bordeaux, et Goutman qui « faisait le diocèse » lui plaçait des vins chez les ecclésiastiques. — « Mais permettez ; dans une minute, je suis à vous ! »

Il avait repris ses comptes, quand bondissant sur la banquette : — « Comment, deux mille ? »

— « Sans doute ! »

— « Ah ! elle est forte, celle-là ! »

— « Vous dites ? »

— « Je dis que j’ai vu Hérambert moi-même », répliqua Barberou furieux. « La facture porte quatre mille ; pas de blagues ! »

Le brocanteur ne perdit point contenance : — « Eh bien, elle vous libère ! Après ? »

Barberou se leva, et à sa figure blême d’abord, puis violette, Bouvard et Pécuchet croyaient qu’il allait étrangler Goutman.

Il se rassit, croisa les bras : — « Vous êtes une rude canaille, convenez-en ! »

— « Pas d’injures, monsieur Barberou. Il y a des témoins ; prenez garde ! »

— « Je vous flanquerai un procès ! »

— « Ta ! ta ! ta ! » Puis ayant bouclé son portefeuille, Goutman souleva le bord de son chapeau : — « À l’avantage ! » Et il sortit.

Barberou exposa les faits : pour une créance de mille francs doublée par suite de manœuvres usuraires, il avait livré à Goutman trois mille francs de vins ; ce qui paierait sa dette avec mille francs de bénéfice. Mais au contraire, il en devait trois mille. Ses patrons le renverraient, on le poursuivrait ! — « Crapule ! brigand ! sale juif ! – Et ça dîne dans les presbytères ! D’ailleurs, tout ce qui touche à la calotte !... » Il déblatéra contre les prêtres, et tapait sur la table avec tant de violence que la statuette faillit tomber.

— « Doucement ! » dit Bouvard.

— « Tiens ! Qu’est-ce que ça ? » et Barberou ayant défait l’enveloppe de la petite Vierge : « Un bibelot du pèlerinage ! À vous ? »

Bouvard, au lieu de répondre, sourit d’une manière ambiguë.

— « C’est à moi ! » dit Pécuchet.

— « Vous m’affligez » reprit Barberou. « Mais je vous éduquerai là-dessus, – n’ayez pas peur ! » Et comme on doit être philosophe, et que la tristesse ne sert à rien, il leur offrit à déjeuner.

Tous les trois s’attablèrent.

Barberou fut aimable, rappela le vieux temps, prit la taille de la bonne, voulut toiser le ventre de Bouvard. Il irait chez eux bientôt, et leur apporterait un livre farce.

L’idée de sa visite les réjouissait médiocrement. Ils en causèrent dans la voiture, pendant une heure, au trot du cheval. Ensuite Pécuchet ferma les paupières. Bouvard se taisait aussi. Intérieurement, il penchait vers la religion.

M. Marescot s’était présenté la veille pour leur faire une communication importante. Marcel n’en savait pas davantage.

Le notaire ne put les recevoir que trois jours après ; – et de suite exposa la chose. Pour une rente de sept mille cinq cents francs, Mme Bordin proposait à M. Bouvard de lui acheter leur ferme.

Elle la reluquait depuis sa jeunesse, en connaissait les tenants et aboutissants, défauts et avantages – et ce désir était comme un cancer qui la minait. Car la bonne dame en vraie Normande, chérissait par-dessus tout le bien, moins pour la sécurité du capital que pour le bonheur de fouler un sol vous appartenant. Dans l’espoir de celui-là, elle avait pratiqué des enquêtes, une surveillance journalière, de longues économies, et elle attendait avec impatience, la réponse de Bouvard.

Il fut embarrassé, ne voulant pas que Pécuchet un jour se trouvât sans fortune. Mais il fallait saisir l’occasion, – qui était l’effet du pèlerinage. La Providence pour la seconde fois se manifestait en leur faveur.

Ils offrirent les conditions suivantes : la rente non pas de sept mille cinq cents francs mais de six mille serait dévolue au dernier survivant. Marescot fit valoir que l’un était faible de santé. Le tempérament de l’autre le disposait à l’apoplexie, et Mme Bordin signa le contrat, emportée par la passion.

Bouvard en resta mélancolique. Quelqu’un désirait sa mort ; et cette réflexion lui inspira des pensées graves, des idées de Dieu, et d’éternité.

Trois jours après M. Jeufroy les invita au repas de cérémonie qu’il donnait une fois par an à des collègues.

Le dîner commença vers deux heures de l’après-midi, pour finir à onze du soir. On y but du poiré, on y débita des calembours. L’abbé Pruneau composa séance tenante un acrostiche, M. Bougon fit des tours de cartes, et Cerpet, jeune vicaire, chanta une petite romance qui frisait la galanterie. Un pareil milieu divertit Bouvard. Il fut moins sombre le lendemain.

Le curé vint le voir fréquemment. Il présentait la religion sous des couleurs gracieuses. Que risque-t-on, du reste ? – Et Bouvard consentit bientôt à s’approcher de la sainte table. Pécuchet, en même temps que lui, participerait au sacrement.

Le grand jour arriva.

L’église, à cause des premières communions était pleine de monde. Les bourgeois et les bourgeoises encombraient leurs bancs, et le menu peuple se tenait debout par derrière, ou dans le jubé, au-dessus de la porte.

Ce qui allait se passer tout à l’heure était inexplicable, songeait Bouvard. Mais la raison ne suffit pas à comprendre certaines choses. De très grands hommes ont admis celle-là. Autant faire comme eux. Et dans une sorte d’engourdissement, il contemplait l’autel, l’encensoir, les flambeaux, la tête un peu vide car il n’avait rien mangé – et éprouvait une singulière faiblesse.

Pécuchet en méditant la Passion de Jésus-Christ s’excitait à des élans d’amour. Il aurait voulu lui offrir son âme, celle des autres – et les ravissements, les transports, les illuminations des saints, tous les êtres, l’univers entier. Bien qu’il priât avec ferveur, les différentes parties de la messe lui semblèrent un peu longues.

Enfin, les petits garçons s’agenouillèrent sur la première marche de l’autel, formant avec leurs habits, une bande noire, que surmontaient inégalement des chevelures blondes ou brunes. Les petites filles les remplacèrent, ayant sous leurs couronnes, des voiles qui tombaient ; de loin, on aurait dit un alignement de nuées blanches au fond du chœur.

Puis ce fut le tour des grandes personnes.

La première du côté de l’Évangile était Pécuchet. Mais trop ému, sans doute, il oscillait la tête de droite et de gauche. Le curé eut peine à lui mettre l’hostie dans la bouche, et il la reçut en tournant les prunelles.

Bouvard, au contraire, ouvrit si largement les mâchoires que sa langue lui pendait sur la lèvre comme un drapeau. En se relevant, il coudoya Mme Bordin. Leurs yeux se rencontrèrent. Elle souriait ; sans savoir pourquoi, il rougit.

Après Mme Bordin communièrent ensemble Mlle de Faverges, la comtesse, leur dame de compagnie, – et un monsieur que l’on ne connaissait pas à Chavignolles.

Les deux derniers furent Placquevent, et Petit l’instituteur ; – quand tout à coup on vit paraître Gorgu.

Il n’avait plus de barbiche ; – et il regagna sa place, les bras en croix sur la poitrine, d’une manière fort édifiante.

Le curé harangua les petits garçons. Qu’ils aient soin plus tard de ne point faire comme Judas qui trahit son Dieu, et de conserver toujours leur robe d’innocence. Pécuchet regretta la sienne. Mais on remuait des chaises. Les mères avaient hâte d’embrasser leurs enfants.

Les paroissiens à la sortie, échangèrent des félicitations. Quelques-uns pleuraient. Mme de Faverges en attendant sa voiture se tourna vers Bouvard et Pécuchet, et présenta son futur gendre : — « M. le baron de Mahurot, ingénieur. » Le comte se plaignait de ne pas les voir. Il serait revenu la semaine prochaine : — « Notez-le ! je vous prie. » La calèche était arrivée ; les dames du château partirent. Et la foule se dispersa.

Ils trouvèrent dans leur cour un paquet au milieu de l’herbe. Le facteur, comme la maison était close, l’avait jeté par-dessus le mur. C’était l’ouvrage que Barberou avait promis, – Examen du christianisme par Louis Hervieu, ancien élève de l’École normale. Pécuchet le repoussa. Bouvard ne désirait pas le connaître.

On lui avait répété que le sacrement le transformerait : durant plusieurs jours, il guetta des floraisons dans sa conscience. Il était toujours le même ; et un étonnement douloureux le saisit.

Comment ! la chair de Dieu se mêle à notre chair – et elle n’y cause rien ! La pensée qui gouverne les mondes n’éclaire pas notre esprit. Le suprême pouvoir nous abandonne à l’impuissance.

M. Jeufroy, en le rassurant, lui ordonna le Catéchisme de l’abbé Gaume.

Au contraire, la dévotion de Pécuchet s’était développée. Il aurait voulu communier sous les deux espèces, chantait des psaumes, en se promenant dans le corridor, arrêtait les Chavignollais pour discuter, et les convertir. Vaucorbeil lui rit au nez, Girbal haussa les épaules, et le capitaine l’appela Tartuffe. On trouvait maintenant qu’ils allaient trop loin.

Une excellente habitude c’est d’envisager les choses comme autant de symboles. Si le tonnerre gronde, figurez-vous le jugement dernier ; devant un ciel sans nuages, pensez au séjour des bienheureux ; dites-vous dans vos promenades que chaque pas vous rapproche de la mort. Pécuchet observa cette méthode. Quand il prenait ses habits il songeait à l’enveloppe charnelle dont la seconde personne de la Trinité s’est revêtue. Le tic-tac de l’horloge lui rappelait les battements de son cœur, une piqûre d’épingle les clous de la croix. Mais il eut beau se tenir à genoux pendant des heures, et multiplier les jeûnes, et se pressurer l’imagination, le détachement de soi-même ne se faisait pas. Impossible d’atteindre à la contemplation parfaite !

Il recourut à des auteurs mystiques : sainte Thérèse, Jean de la Croix, Louis de Grenade, Scupoli, – et de plus modernes, Mgr Chaillot. Au lieu des sublimités qu’il attendait, il ne rencontra que des platitudes, un style très lâche, de froides images, et force comparaisons tirées de la boutique des lapidaires.

Il apprit cependant qu’il y a une purgation active et une purgation passive, une vision interne et une vision externe, quatre espèces d’oraisons, neuf excellences dans l’amour, six degrés dans l’humilité, et que la blessure de l’âme ne diffère pas beaucoup du vol spirituel.

Des points l’embarrassaient.

Puisque la chair est maudite, comment se fait-il que l’on doive remercier Dieu pour le bienfait de l’existence ? Quelle mesure garder entre la crainte indispensable au salut, et l’espérance qui ne l’est pas moins ? Où est le signe de la grâce ? etc. !

Les réponses de M. Jeufroy étaient simples : — « Ne vous tourmentez pas ! À vouloir tout approfondir, on court sur une pente dangereuse. »

Le Catéchisme de persévérance par Gaume avait tellement dégoûté Bouvard qu’il prit le volume de Louis Hervieu. C’était un sommaire de l’exégèse moderne défendu par le gouvernement. Barberou, comme républicain l’avait acheté.

Il éveilla des doutes dans l’esprit de Bouvard – et d’abord sur le péché originel. — « Si Dieu a créé l’homme peccable, il ne devait pas le punir ; et le mal est antérieur à la chute, puisqu’il y avait déjà, des volcans, des bêtes féroces ! Enfin ce dogme bouleverse mes notions de justice ! »

— « Que voulez-vous » disait le curé « c’est une de ces vérités dont tout le monde est d’accord sans qu’on puisse en fournir de preuves ; – et nous-mêmes, nous faisons rejaillir sur les enfants les crimes de leurs pères. Ainsi les mœurs et les lois justifient ce décret de la Providence, que l’on retrouve dans la nature. »

Bouvard hocha la tête. Il doutait aussi de l’enfer :

— « Car tout châtiment doit viser à l’amélioration du coupable – ce qui devient impossible avec une peine éternelle ! – Et combien l’endurent ! Songez donc : tous les anciens, les juifs, les musulmans, les idolâtres, les hérétiques et les enfants morts sans baptême, ces enfants créés par Dieu ! et dans quel but ? pour les punir d’une faute, qu’ils n’ont pas commise ! »

— « Telle est l’opinion de saint Augustin » ajouta le curé. « Et saint Fulgence enveloppe dans la damnation jusqu’aux fœtus. L’Église, il est vrai, n’a rien décidé à cet égard. Une remarque pourtant : ce n’est pas Dieu, mais le pécheur qui se damne lui-même ; et l’offense étant infinie, puisque Dieu est infini, la punition doit être infinie. Est-ce tout, monsieur ? »

— « Expliquez-moi la Trinité ! » dit Bouvard.

— « Avec plaisir ! – Prenons une comparaison : les trois côtés du triangle, ou plutôt notre âme, qui contient : être, connaître et vouloir. Ce qu’on appelle faculté chez l’homme est personne en Dieu. Voilà le mystère. »

— « Mais les trois côtés du triangle ne sont pas chacun le triangle. Ces trois facultés de l’âme ne font pas trois âmes. Et vos personnes de la Trinité sont trois Dieux. »

— « Blasphème ! »

— « Alors il n’y a qu’une personne, un Dieu, une substance affectée de trois manières ! »

— « Adorons sans comprendre » dit le curé.

— « Soit ! » dit Bouvard.

Il avait peur de passer pour un impie, d’être mal vu au château.

Maintenant ils y venaient trois fois la semaine – vers cinq heures en hiver – et la tasse de thé les réchauffait. M. le comte par ses allures « rappelait le chic de l’ancienne cour », la comtesse placide et grasse, montrait sur toutes choses un grand discernement. Mlle Yolande leur fille, était « le type de la jeune personne », l’ange des keepsakes – et Mme de Noaris, leur dame de compagnie, ressemblait à Pécuchet, ayant son nez pointu.

La première fois qu’ils entrèrent dans le salon, elle défendait quelqu’un :

— « Je vous assure qu’il est changé ! Son cadeau le prouve.»

Ce quelqu’un était Gorgu. Il venait d’offrir aux futurs époux un prie-Dieu gothique. On l’apporta. Les armes des deux maisons s’y étalaient en reliefs de couleur. M. de Mahurot en parut content ; et Mme de Noaris lui dit :

— « Vous vous souviendrez de mon protégé ! »

Ensuite, elle amena deux enfants, un gamin d’une douzaine d’années et sa sœur, qui en avait dix peut-être. Par les trous de leurs guenilles, on voyait leurs membres rouges de froid. L’un était chaussé de vieilles pantoufles, l’autre n’avait plus qu’un sabot. Leurs fronts disparaissaient sous leurs chevelures, et ils regardaient autour d’eux avec des prunelles ardentes comme de jeunes loups effarés.

Mme de Noaris conta qu’elle les avait rencontrés le matin sur la grande route. Placquevent ne pouvait fournir aucun détail.

On leur demanda leurs noms : — « Victor – Victorine. » — « Où était leur père ? » — « En prison. » — « Et avant, que faisait-il ? » — « Rien. » — « Leur pays ? » — « Saint-Pierre. » — « Mais quel Saint-Pierre ? » Les deux petits pour toute réponse disaient en reniflant : — « Sais pas, sais pas. » Leur mère était morte, et ils mendiaient.

Mme de Noaris exposa combien il serait dangereux de les abandonner ; elle attendrit la comtesse, piqua d’honneur le comte, fut soutenue par mademoiselle, s’obstina, réussit. La femme du garde-chasse en prendrait soin. On leur trouverait de l’ouvrage plus tard. – Et comme ils ne savaient ni lire ni écrire, Mme de Noaris leur donnerait elle-même des leçons afin de les préparer au catéchisme.

Quand M. Jeufroy venait au château, on allait quérir les deux mioches. Il les interrogeait puis faisait une conférence, où il mettait de la prétention, à cause de l’auditoire.

Une fois, qu’il avait discouru sur les patriarches, Bouvard en s’en retournant avec lui et Pécuchet, les dénigra fortement.

Jacob s’est distingué par des filouteries, David par les meurtres, Salomon par ses débauches.

L’abbé lui répondit qu’il fallait voir plus loin. Le sacrifice d’Abraham est la figure de la Passion, Jacob une autre figure du Messie, comme Joseph, comme le serpent d’airain, comme Moïse.

— « Croyez-vous » dit Bouvard « qu’il ait composé le Pentateuque ? »

— « Oui ! sans doute ! »

— « Cependant on y raconte sa mort ! Même observation pour Josué – et quant aux Juges, l’auteur nous prévient qu’à l’époque dont il fait l’histoire, Israël n’avait pas encore de rois. L’ouvrage fut donc écrit sous les rois. Les prophètes aussi m’étonnent. »

— « Il va nier les prophètes, maintenant ! »

— « Pas du tout ! mais leur esprit échauffé percevait Jéhovah sous des formes diverses, celle d’un feu, d’une broussaille, d’un vieillard, d’une colombe ; et ils n’étaient pas certains de la Révélation puisqu’ils demandent toujours un signe. »

— « Ah ! – et vous avez découvert ces belles choses ? ... »

— « Dans Spinoza ! » À ce mot, le curé bondit. « L’avez-vous lu ? »

— « Dieu m’en garde ! »

— « Pourtant, monsieur, la science !... »

— « Monsieur, on n’est pas savant, si l’on n’est chrétien. »

La science lui inspirait des sarcasmes : — « Fera-t-elle pousser un épi de grain, votre science ! Que savons-nous ? » disait-il.

Mais il savait que le monde a été créé pour nous ; il savait que les archanges sont au-dessus des anges ; il savait que le corps humain ressuscitera tel qu’il était vers la trentaine.

Son aplomb sacerdotal agaçait Bouvard, qui par méfiance de Louis Hervieu écrivit à Varlot. Et Pécuchet mieux informé, demanda à M. Jeufroy des explications sur l’Écriture.

Les six jours de la Genèse veulent dire six grandes époques. Le rapt des vases précieux fait par les Juifs aux Égyptiens doit s’entendre des richesses intellectuelles, les arts, dont ils avaient dérobé le secret. Isaïe ne se dépouilla pas complètement – nudus en latin signifiant nu jusqu’aux hanches. Ainsi Virgile conseille de se mettre nu, pour labourer, et cet écrivain n’eût pas donné un précepte contraire à la pudeur ! Ézéchiel dévorant un livre n’a rien d’extraordinaire – ne dit-on pas dévorer une brochure, un journal ?

Mais si l’on voit partout des métaphores, que deviendront les faits ? L’abbé soutenait cependant qu’ils étaient réels.

Cette manière de les entendre parut déloyale à Pécuchet. Il poussa plus loin ses recherches et apporta une note sur les contradictions de la Bible.

L’Exode nous apprend que pendant quarante ans on fit des sacrifices dans le désert ; on n’en fit aucun suivant Amos et Jérémie. Les Paralipomènes et Esdras ne sont point d’accord sur le dénombrement du peuple. Dans le Deutéronome, Moïse voit le Seigneur face à face ; d’après l’Exode, jamais il ne put le voir. Où est, alors, l’Inspiration ?

— « Motif de plus pour l’admettre » répliquait en souriant M. Jeufroy. « Les imposteurs ont besoin de connivence, les sincères n’y prennent garde. Dans l’embarras, recourons à l’Église. Elle est toujours infaillible. »

De qui relève l’infaillibilité ?

Les conciles de Bâle et de Constance l’attribuent aux conciles. Mais souvent les conciles diffèrent, témoin ce qui se passa pour Athanase et pour Arius. Ceux de Florence et de Latran la décernent au pape. Mais Adrien VI déclare que le pape, comme un autre, peut se tromper.

Chicanes ! Tout cela ne fait rien à la permanence du dogme.

L’ouvrage de Louis Hervieu en signale les variations : le baptême autrefois était réservé pour les adultes. L’extrême-onction ne fut un sacrement qu’au IXe siècle ; la Présence réelle a été décrétée au VIIIe, le purgatoire, reconnu au XVe, l’Immaculée Conception est d’hier.

Et Pécuchet en arriva à ne plus savoir que penser de Jésus. Trois Évangiles en font un homme. Dans un passage de saint Jean il paraît s’égaler à Dieu, dans un autre du même se reconnaître son inférieur.

L’abbé ripostait par la lettre du roi Abgar, les Actes de Pilate, et le témoignage des sibylles « dont le fond est véritable ». Il retrouvait la Vierge dans les Gaules, l’annonce d’un rédempteur en Chine, la Trinité partout, la croix sur le bonnet du grand lama, en Égypte au poing des dieux ; – et même il fit voir une gravure, représentant un nilomètre, lequel était un phallus suivant Pécuchet.

M. Jeufroy consultait secrètement son ami Pruneau, qui lui cherchait des preuves dans les auteurs. Une lutte d’érudition s’engagea ; et fouetté par l’amour-propre Pécuchet devint transcendant, mythologue.

Il comparait la Vierge à Isis, l’eucharistie au Homa des Perses, Bacchus à Moïse, l’arche de Noé au vaisseau de Xisuthros, ces ressemblances pour lui démontraient l’identité des religions.

Mais il ne peut y avoir plusieurs religions, puisqu’il n’y a qu’un Dieu – et quand il était à bout d’arguments, l’homme à la soutane s’écriait : — « C’est un mystère ! »

Que signifie ce mot ? Défaut de savoir ; très bien. Mais s’il désigne une chose dont le seul énoncé implique contradiction, c’est une sottise. – Et Pécuchet ne quittait plus M. Jeufroy. Il le surprenait dans son jardin, l’attendait au confessionnal, le relançait dans la sacristie.

Le prêtre imaginait des ruses pour le fuir.

Un jour, qu’il était parti à Sassetot administrer quelqu’un, Pécuchet se porta au-devant de lui sur la route, manière de rendre la conversation inévitable.

C’était le soir, vers la fin d’août. Le ciel écarlate se rembrunit, et un gros nuage s’y forma, régulier dans le bas, avec des volutes au sommet.

Pécuchet d’abord, parla de choses indifférentes, puis ayant glissé le mot martyr :

— « Combien pensez-vous qu’il y en ait eu ? »

— « Une vingtaine de millions, pour le moins. »

— « Leur nombre n’est pas si grand, dit Origène. »

— « Origène, vous savez, est suspect ! »

Un large coup de vent passa, inclinant l’herbe des fossés, et les deux rangs d’ormeaux jusqu’au bout de l’horizon.

Pécuchet reprit : — « On classe dans les martyrs, beaucoup d’évêques gaulois, tués en résistant aux Barbares, ce qui n’est plus la question. »

— « Allez-vous défendre les empereurs ! »

Suivant Pécuchet, on les avait calomniés : — « L’histoire de la légion thébaine est une fable. Je conteste également Symphorose et ses sept fils, Félicité et ses sept filles, et les sept vierges d’Ancyre, condamnées au viol, bien que septuagénaires, et les onze mille vierges de sainte Ursule, dont une compagne s’appelait Undecemilla, un nom pris pour un chiffre, – encore plus les dix martyrs d’Alexandrie ! »

— « Cependant !... Cependant, ils se trouvent dans des auteurs dignes de créance. »

Des gouttes d’eau tombèrent. Le curé déploya son parapluie ; – et Pécuchet, quand il fut dessous, osa prétendre que les catholiques avaient fait plus de martyrs chez les juifs, les musulmans, les protestants, et les libres penseurs que tous les Romains autrefois.

L’ecclésiastique se récria : — « Mais on compte dix persécutions depuis Néron jusqu’au César Galère ! »

— « Eh bien, et les massacres des Albigeois ! et la Saint-Barthélemy ! et la révocation de l’édit de Nantes ! »

— « Excès déplorables sans doute, mais vous n’allez pas comparer ces gens-là à saint Étienne, saint Laurent, Cyprien, Polycarpe, une foule de missionnaires. »

— « Pardon ! je vous rappellerai Hypathie, Jérôme de Prague, Jean Huss, Bruno, Vanini, Anne Dubourg ! »

La pluie augmentait, et ses rayons dardaient si fort, qu’ils rebondissaient du sol, comme de petites fusées blanches. Pécuchet et M. Jeufroy marchaient avec lenteur serrés l’un contre l’autre, et le curé disait :

— « Après des supplices abominables, on les jetait dans des chaudières ! »

— « L’inquisition employait de même la torture, et elle vous brûlait très bien. »

— « On exposait les dames illustres dans les lupanars ! »

— « Croyez-vous que les dragons de Louis XIV fussent décents ? »

— « Et notez que les chrétiens n’avaient rien fait contre l’État ! »

— « Les huguenots pas davantage ! »

Le vent chassait, balayait la pluie dans l’air. Elle claquait sur les feuilles, ruisselait au bord du chemin, et le ciel couleur de boue se confondait avec les champs dénudés, la moisson étant finie. Pas un toit. Au loin seulement, la cabane d’un berger.

Le maigre paletot de Pécuchet n’avait plus un fil de sec. L’eau coulait le long de son échine, entrait dans ses bottes, dans ses oreilles, dans ses yeux, malgré la visière de la casquette Amoros. Le curé, en portant d’un bras la queue de sa soutane, se découvrait les jambes, et les pointes de son tricorne crachaient l’eau sur ses épaules comme des gargouilles de cathédrale.

Il fallut s’arrêter, et tournant leur dos à la tempête, ils restèrent face à face, ventre contre ventre, en tenant à quatre mains le parapluie qui oscillait.

M. Jeufroy n’avait pas interrompu la défense des catholiques :

— « Ont-ils crucifié vos protestants, comme le fut saint Siméon, ou fait dévorer un homme par deux tigres comme il advint à saint Ignace ? »

— « Mais comptez-vous pour quelque chose, tant de femmes séparées de leurs maris, d’enfants arrachés à leurs mères ! Et les exils des pauvres, à travers la neige, au milieu des précipices ! On les entassait dans les prisons. À peine morts on les traînait sur la claie. »

L’abbé ricana : — « Vous me permettrez de n’en rien croire ! Et nos martyrs à nous sont moins douteux. Sainte Blandine a été livrée dans un filet à une vache furieuse. Sainte Julite périt assommée de coups. Saint Taraque, saint Probus et saint Andronic, on leur a brisé les dents avec un marteau, déchiré les côtes avec des peignes de fer, traversé les mains avec des clous rougis, enlevé la peau du crâne ! »

— « Vous exagérez » dit Pécuchet. « La mort des martyrs était dans ce temps-là une amplification de rhétorique ! »

— « Comment de la rhétorique ? »

— « Mais oui ! tandis que moi, monsieur, je vous raconte de l’histoire. Les catholiques en Irlande éventrèrent des femmes enceintes pour prendre leurs enfants ! »

— « Jamais ! »

— « Et les donner aux pourceaux ! »

— « Allons donc ! »

— « En Belgique, ils les enterraient toutes vives. »

— « Quelle plaisanterie ! »

— « On a leurs noms ! »

— « Et quand même ! » objecta le prêtre, en secouant de colère son parapluie. « On ne peut les appeler des martyrs. Il n’y en a pas en dehors de l’Église. »

— « Un mot ! Si la valeur du martyr dépend de la doctrine, comment servirait-il à en démontrer l’excellence ? »

La pluie se calmait ; jusqu’au village ils ne parlèrent plus.

Mais, sur le seuil du presbytère, l’abbé dit :

— « Je vous plains ! Véritablement, je vous plains ! »

Pécuchet conta de suite à Bouvard son altercation. Elle lui avait causé une malveillance antireligieuse ; – et une heure après, assis devant un feu de broussailles, il lisait le Curé Meslier.

Ces négations lourdes le choquèrent. Puis se reprochant d’avoir méconnu, peut-être, des héros, il feuilleta dans la Biographie, l’histoire des martyrs les plus illustres.

Quelles clameurs du peuple, quand ils entraient dans l’arène ! – Et si les lions et les jaguars étaient trop doux, du geste et de la voix, ils les excitaient à s’avancer. On les voyait tout couverts de sang, sourire debout le regard au ciel ; – sainte Perpétue renoua ses cheveux pour ne point paraître affligée. – Pécuchet se mit à réfléchir. La fenêtre était ouverte, la nuit tranquille, beaucoup d’étoiles brillaient. Il devait se passer dans leur âme, des choses dont nous n’avons plus l’idée, une joie, un spasme divin ? – Et Pécuchet à force d’y rêver dit qu’il comprenait cela, aurait fait comme eux.

— « Toi ? »

— « Certainement. »

— « Pas de blagues ! Crois-tu, oui ou non ? »

— « Je ne sais. »

Il alluma une chandelle – puis ses yeux tombant sur le crucifix dans l’alcôve : — « Combien de misérables ont recouru à celui-là ! » Et après un silence : « On l’a dénaturé ! C’est la faute de Rome : la politique du Vatican ! »

Mais Bouvard admirait l’Église pour sa magnificence, et aurait souhaité au Moyen Âge être un cardinal : — « J’aurais eu bonne mine sous la pourpre, conviens-en ! »

La casquette de Pécuchet posée devant les charbons n’était pas sèche encore. Tout en l’étirant, il sentit quelque chose dans la doublure, et une médaille de saint Joseph tomba. Ils furent troublés, le fait leur paraissant inexplicable.

Mme de Noaris voulut savoir de Pécuchet s’il n’avait pas éprouvé comme un changement, un bonheur, et se trahit par ses questions. Une fois, pendant qu’il jouait au billard, elle lui avait cousu la médaille dans sa casquette.

Évidemment, elle l’aimait ; ils auraient pu se marier : elle était veuve ; et il ne soupçonna pas cet amour, qui peut-être eût fait le bonheur de sa vie.

Bien qu’il se montrât plus religieux que M. Bouvard, elle l’avait dédié à saint Joseph, dont le secours est excellent pour les conversions.

Personne, comme elle, ne connaissait tous les chapelets et les indulgences qu’ils procurent, l’effet des reliques, les privilèges des eaux saintes. Sa montre était retenue par une chaînette qui avait touché aux liens de saint Pierre. Parmi ses breloques luisait une perle d’or, à l’imitation de celle qui contient dans l’église d’Allouagne, une larme de Notre-Seigneur. Un anneau à son petit doigt enfermait des cheveux du curé d’Ars. – Et comme elle cueillait des simples pour les malades, sa chambre ressemblait à une sacristie et à une officine d’apothicaire.

Son temps se passait à écrire des lettres, à visiter les pauvres, à dissoudre des concubinages, à répandre des photographies du Sacré-Cœur. Un monsieur devait lui envoyer de la « Pâte des martyrs » : mélange de cire pascale et de poussière humaine prise aux catacombes, et qui s’emploie dans les cas désespérés en mouches ou en pilules. Elle en promit à Pécuchet.

Il parut choqué d’un tel matérialisme.

Le soir, un valet du château lui apporta une hottée d’opuscules, relatant des paroles pieuses du grand Napoléon, des bons mots de curé dans les auberges, des morts effrayantes advenues à des impies. Mme de Noaris savait tout cela par cœur, avec une infinité de miracles.

Elle en contait de stupides – des miracles sans but, comme si Dieu les eût faits pour ébahir le monde. Sa grand-mère, à elle-même, avait serré dans une armoire des pruneaux couverts d’un linge, et quand on ouvrit l’armoire un an plus tard, on en vit treize sur la nappe, formant la croix. — « Expliquez-moi cela ! » C’était son mot après ses histoires, qu’elle soutenait avec un entêtement de bourrique, bonne femme d’ailleurs, et d’humeur enjouée.

Une fois pourtant, « elle sortit de son caractère ». Bouvard lui contestait le miracle de Pezilla : un compotier où l’on avait caché des hosties pendant la Révolution se dora de lui-même – tout seul.

Peut-être y avait-il, au fond, un peu de couleur jaune provenant de l’humidité ?

— « Mais non ! je vous répète que non ! La dorure a pour cause le contact de l’Eucharistie. » Et elle donna en preuve l’attestation des évêques. « C’est, disent-ils, comme un bouclier, un... un palladium sur le diocèse de Perpignan. Demandez plutôt à M. Jeufroy ! »

Bouvard n’y tint plus – et ayant repassé son Louis Hervieu, emmena Pécuchet.

L’ecclésiastique finissait de dîner. Reine offrit des sièges, et sur un geste, alla prendre deux petits verres qu’elle emplit de rosolio.

Après quoi, Bouvard exposa ce qui l’amenait.

L’abbé ne répondit pas franchement. Tout est possible à Dieu – et les miracles sont une preuve de la religion.

— « Cependant, il y a des lois. »

— « Cela n’y fait rien. Il les dérange pour instruire, corriger. »

— « Que savez-vous s’il les dérange ? » répliqua Bouvard. « Tant que la nature suit sa routine, on n’y pense pas. Mais dans un phénomène extraordinaire, nous voyons la main de Dieu. »

— « Elle peut y être » dit l’ecclésiastique « et quand un événement se trouve certifié par des témoins... »

— « Les témoins gobent tout, car il y a de faux miracles ! »

Le prêtre devint rouge : — « Sans doute... quelquefois. »

— « Comment les distinguer des vrais ? Et si les vrais donnés en preuves ont eux-mêmes besoin de preuves, pourquoi en faire ? »

Reine intervint, et prêchant comme son maître, dit qu’il fallait obéir :

— « La vie est un passage, mais la mort est éternelle ! »

— « Bref » ajouta Bouvard, en lampant le rosolio « les miracles d’autrefois ne sont pas mieux démontrés que les miracles d’aujourd’hui. Des raisons analogues défendent ceux des chrétiens et des païens. »

Le curé jeta sa fourchette sur la table : — « Ceux-là étaient faux, encore un coup ! – Pas de miracles en dehors de l’Église ! »

— « Tiens ! » se dit Pécuchet « même argument que pour les martyrs : la doctrine s’appuie sur les faits et les faits sur la doctrine. »

M. Jeufroy, ayant bu un verre d’eau, reprit :

— « Tout en les niant, vous y croyez. Le monde, que convertissent douze pêcheurs, voilà, il me semble, un beau miracle ? »

— « Pas du tout ! » Pécuchet en rendait compte d’une autre manière : « Le monothéisme vient des Hébreux, la Trinité des Indiens. Le Logos est à Platon, la Vierge-mère à l’Asie. »

N’importe ! M. Jeufroy tenait au surnaturel, ne voulait que le christianisme pût avoir humainement la moindre raison d’être, bien qu’il en vît chez tous les peuples, des prodromes ou des déformations. L’impiété railleuse du XVIIIe siècle, il l’eût tolérée ; mais la critique moderne avec sa politesse, l’exaspérait.

— « J’aime mieux l’athée qui blasphème que le sceptique qui ergote ! »

Puis il les regarda, d’un air de bravade, comme pour les congédier.

Pécuchet s’en retourna mélancolique. Il avait espéré l’accord de la foi et de la raison.

Bouvard lui fit lire ce passage de Louis Hervieu :

« Pour connaître l’abîme qui les sépare, opposez leurs axiomes.

« La raison vous dit : le tout enferme la partie ; et la foi vous répond par la substantiation. Jésus communiant avec ses apôtres, avait son corps dans sa main, et sa tête dans sa bouche.

« La raison vous dit : on n’est pas responsable du crime des autres – et la foi vous répond par le péché originel.

« La raison vous dit : trois c’est trois – et la foi déclare que trois c’est un. »

Et ils ne fréquentèrent plus l’abbé.

C’était l’époque de la guerre d’Italie. Les honnêtes gens tremblaient pour le pape. On tonnait contre Emmanuel. Mme de Noaris allait jusqu’à lui souhaiter la mort.

Bouvard et Pécuchet ne protestaient que timidement. Quand la porte du salon tournait devant eux et qu’ils se miraient en passant dans les hautes glaces, tandis que par les fenêtres on apercevait des allées, où tranchait sur la verdure le gilet rouge d’un domestique, ils éprouvaient un plaisir ; et le luxe du milieu les faisait indulgents aux paroles qui s’y débitaient.

Le comte leur prêta tous les ouvrages de M. de Maistre. Il en développait les principes, devant un cercle d’intimes : Hurel, le curé, le juge de paix, le notaire et le baron son futur gendre, qui venait de temps à autre pour vingt-quatre heures au château.

— « Ce qu’il y a d’abominable » disait le comte « c’est l’esprit de 89 ! D’abord on conteste Dieu, ensuite, on discute le gouvernement, puis arrive la liberté, liberté d’injures, de révolte, de jouissances, ou plutôt de pillage ; – si bien que la religion et le pouvoir doivent proscrire les indépendants, les hérétiques. On criera sans doute, à la persécution ! comme si les bourreaux persécutaient les criminels. Je me résume. Point d’État sans Dieu ! la loi ne pouvant être respectée que si elle vient d’en haut. Et actuellement il ne s’agit pas des Italiens, mais de savoir qui l’emportera de la révolution ou du pape, de Satan ou de Jésus-Christ ! »

M. Jeufroy approuvait par des monosyllabes, Hurel avec un sourire, le juge de paix en dodelinant la tête. Bouvard et Pécuchet regardaient le plafond, Mme de Noaris, la comtesse et Yolande, travaillaient pour les pauvres – et M. de Mahurot près de sa fiancée, parcourait les feuilles.

Puis, il y avait des silences, où chacun semblait plongé dans la recherche d’un problème. Napoléon III n’était plus un sauveur, et même il donnait un exemple déplorable, en laissant aux Tuileries, les maçons travailler le dimanche.

« On ne devrait pas permettre » était la phrase ordinaire de M. le comte. Économie sociale, beaux-arts, littérature, histoire, doctrines scientifiques, il décidait de tout, en sa qualité de chrétien et de père de famille ; – et plût à Dieu que le gouvernement à cet égard eût la même rigueur qu’il déployait dans sa maison ! Le pouvoir seul est juge des dangers de la science. Répandue trop largement elle inspire au peuple des ambitions funestes. Il était plus heureux, ce pauvre peuple, quand les seigneurs et les évêques tempéraient l’absolutisme du roi. Les industriels maintenant l’exploitent. Il va tomber en esclavage !

Et tous regrettaient l’ancien régime, Hurel par bassesse, Coulon par ignorance, Marescot, comme artiste.

Bouvard une fois chez lui, se retrempait avec La Mettrie, d’Holbach, etc. – et Pécuchet s’éloigna d’une religion, devenue un moyen de gouvernement. M. de Mahurot avait communié pour séduire mieux « ces dames » et s’il pratiquait, c’était à cause des domestiques.

Mathématicien et dilettante, jouant des valses sur le piano, et admirateur de Tœppfer, il se distinguait par un scepticisme de bon goût – ce qu’on rapporte des abus féodaux, de l’inquisition ou des jésuites, préjugés ! Et il vantait le progrès, bien qu’il méprisât tout ce qui n’était pas gentilhomme ou sorti de l’École polytechnique.

M. Jeufroy, de même, leur déplaisait. Il croyait aux sortilèges, faisait des plaisanteries sur les idoles, affirmait que tous les idiomes sont dérivés de l’hébreu. Sa rhétorique manquait d’imprévu. Invariablement, c’était le cerf aux abois, le miel et l’absinthe, l’or et le plomb, des parfums, des urnes – et l’âme chrétienne, comparée au soldat qui doit dire en face du péché : — « Tu ne passes pas ! »

Pour éviter ses conférences, ils arrivaient au château le plus tard possible.

Un jour pourtant, ils l’y trouvèrent.

Depuis une heure, il attendait ses deux élèves. Tout à coup Mme de Noaris entra.

— « La petite a disparu. J’amène Victor. Ah ! le malheureux ! »

Elle avait saisi dans sa poche, un dé d’argent perdu depuis trois jours, puis suffoquée par les sanglots :

« Ce n’est pas tout ! ce n’est pas tout ! Pendant que je le grondais, il m’a montré son derrière ! » Et avant que le comte et la comtesse aient rien dit : « Du reste, c’est de ma faute, pardonnez-moi ! »

Elle leur avait caché que les deux orphelins étaient les enfants de Touache, maintenant au bagne.

Que faire ?

Si le comte les renvoyait, ils étaient perdus – et son acte de charité passerait pour un caprice.

M. Jeufroy ne fut pas surpris. L’homme étant corrompu naturellement, il fallait le châtier pour l’améliorer.

Bouvard protesta. La douceur valait mieux.

Mais le comte, encore une fois s’étendit sur le bras de fer, indispensable aux enfants, comme pour les peuples. Ces deux-là étaient pleins de vices, la petite fille menteuse, le gamin brutal. Ce vol, après tout on l’excuserait, l’insolence jamais, l’éducation devant être l’école du respect.

Donc Sorel, le garde-chasse, administrerait au jeune homme une bonne fessée immédiatement.

M. de Mahurot, qui avait à lui dire quelque chose, se chargea de la commission. Il prit un fusil dans l’antichambre et appela Victor, resté au milieu de la cour, la tête basse :

— « Suis-moi ! » dit le baron.

Comme la route pour aller chez le garde, détournait peu de Chavignolles, M. Jeufroy, Bouvard et Pécuchet l’accompagnèrent.

À cent pas du château, il les pria de ne plus parler, tant qu’il longerait le bois.

Le terrain dévalait jusqu’au bord de la rivière, où se dressaient de grands quartiers de roches. Elle faisait des plaques d’or sous le soleil couchant. En face les verdures des collines se couvraient d’ombre. Un air vif soufflait.

Des lapins sortirent de leurs terriers, et broutaient le gazon.

Un coup de feu partit, un deuxième, un autre, – et les lapins sautaient, déboulaient. Victor se jetait dessus pour les saisir, et haletait trempé de sueur.

— « Tu arranges bien tes nippes » dit le baron. – Sa blouse en loques avait du sang.

La vue du sang répugnait à Bouvard. Il n’admettait pas qu’on en pût verser.

M. Jeufroy reprit : — « Les circonstances quelquefois l’exigent. Si ce n’est pas le coupable qui donne le sien, il faut celui d’un autre, – vérité que nous enseigne la Rédemption. »

Suivant Bouvard, elle n’avait guère servi, presque tous les hommes étant damnés, malgré le sacrifice de Notre-Seigneur.

— « Mais quotidiennement, il le renouvelle dans l’Eucharistie. »

— « Et le miracle » dit Pécuchet « se fait avec des mots, quelle que soit l’indignité du prêtre ! »

— « Là est le mystère, monsieur ! »

Cependant Victor clouait ses yeux sur le fusil, tâchait même d’y toucher.

— « À bas les pattes ! » Et M. de Mahurot prit un sentier sous bois.

L’ecclésiastique avait Pécuchet d’un côté, Bouvard de l’autre ; et il lui dit : — « Attention, vous savez : Debetur pueris. »

Bouvard l’assura qu’il s’humiliait devant le Créateur, mais était indigné qu’on en fît un homme. « On redoute sa vengeance, on travaille pour sa gloire ; il a toutes les vertus, un bras, un œil, une politique, une habitation. “ Notre Père qui êtes aux cieux ”, qu’est-ce que cela veut dire ? »

Et Pécuchet ajouta :

— « Le monde s’est élargi ; la Terre n’en fait plus le centre. Elle roule dans la multitude infinie de ses pareilles. Beaucoup la dépassent en grandeur, et ce rapetissement de notre globe procure de Dieu un idéal plus sublime. » Donc la religion devait changer. Le paradis est quelque chose d’enfantin avec ses bienheureux toujours contemplant, toujours chantant – et qui regardent d’en haut les tortures des damnés. Quand on songe que le christianisme a pour base une pomme !

Le curé se fâcha : — « Niez la Révélation, ce sera plus simple. »

— « Comment voulez-vous que Dieu ait parlé ? » dit Bouvard.

— « Prouvez qu’il n’a pas parlé ! » disait Jeufroy.

— « Encore une fois, qui vous l’affirme ? »

— « L’Église ! »

— « Beau témoignage ! »

Cette discussion ennuyait M. de Mahurot ; – et tout en marchant :

— « Écoutez donc le curé ! Il en sait plus que vous ! »

Bouvard et Pécuchet se firent des signes pour prendre un autre chemin, puis à la Croix-Verte : — « Bien le bonsoir. »

— « Serviteur » dit le baron.

Tout cela serait conté à M. de Faverges ; et peut-être qu’une rupture s’en suivrait ? Tant pis ! Ils se sentaient méprisés par ces nobles ; on ne les invitait jamais à dîner ; et ils étaient las de Mme de Noaris avec ses continuelles remontrances.

Ils ne pouvaient cependant garder le de Maistre ; – et une quinzaine après, ils retournèrent au château, croyant n’être pas reçus.

Ils le furent.

Toute la famille se trouvait dans le boudoir, Hurel y compris, et par extraordinaire Foureau.

La correction n’avait point corrigé Victor. Il refusait d’apprendre son catéchisme – et Victorine proférait des mots sales. Bref le garçon irait aux « Jeunes détenus », la petite fille dans un couvent. Foureau s’était chargé des démarches, et il s’en allait quand la comtesse le rappela.

On attendait M. Jeufroy, pour fixer ensemble la date du mariage qui aurait lieu à la mairie, bien avant de se faire à l’église, afin de montrer que l’on honnissait le mariage civil.

Foureau tâcha de le défendre. Le comte et Hurel l’attaquèrent. Qu’était une fonction municipale près d’un sacerdoce ! – Et le baron ne se fût pas cru marié s’il l’eût été, seulement devant une écharpe tricolore.

— « Bravo ! » dit M. Jeufroy, qui entrait. « Le mariage étant établi par Jésus... »

Pécuchet l’arrêta : — « Dans quel Évangile ? Aux temps apostoliques on le considérait si peu, que Tertullien le compare à l’adultère. »

— « Ah ! par exemple ! »

— « Mais oui ! et ce n’est pas un sacrement ! Il faut au sacrement un signe. Montrez-moi le signe, dans le mariage ! » Le curé eut beau répondre qu’il figurait l’alliance de Dieu avec l’Église. « Vous ne comprenez plus le christianisme ! et la loi... »

— « Elle en garde l’empreinte » dit M. de Faverges. « Sans lui, elle autoriserait la polygamie ! »

Une voix répliqua : — « Où serait le mal ? »

C’était Bouvard, à demi caché par un rideau. « On peut avoir plusieurs épouses, comme les patriarches, les mormons, les musulmans, et néanmoins être honnête homme ! »

— « Jamais ! » s’écria le prêtre. « L’honnêteté consiste à rendre ce qui est dû. Nous devons hommage à Dieu. Or qui n’est pas chrétien, n’est pas honnête ! »

— « Autant que d’autres » dit Bouvard.

Le comte croyant voir dans cette repartie une atteinte à la religion l’exalta. Elle avait affranchi les esclaves.

Bouvard fit des citations, prouvant le contraire :

— « Saint Paul leur recommande d’obéir aux maîtres comme à Jésus. Saint Ambroise nomme la servitude un don de Dieu. Le Lévitique, l’Exode et les conciles l’ont sanctionnée. Bossuet la classe parmi le droit des gens. Et Mgr Bouvier l’approuve.

Le comte objecta que le christianisme, pas moins, avait développé la civilisation.

— « Et la paresse, en faisant de la pauvreté, une vertu ! »

— « Cependant, monsieur, la morale de l’Évangile ? »

— « Eh ! eh ! pas si morale ! Les ouvriers de la dernière heure sont autant payés que ceux de la première. On donne à celui qui possède, et on retire à celui qui n’a pas. Quant au précepte de recevoir des soufflets sans les rendre et de se laisser voler, il encourage les audacieux, les poltrons et les coquins. »

Le scandale redoubla, quand Pécuchet eut déclaré qu’il aimait autant le bouddhisme.

Le prêtre éclata de rire : — « Ah ! ah ! ah ! le bouddhisme.»

Mme de Noaris leva les bras : — « Le bouddhisme ! »

— « Comment, – le bouddhisme ? » répétait le comte.

— « Le connaissez-vous ? » dit Pécuchet à M. Jeufroy, qui s’embrouilla.

« Eh bien, sachez-le ! Mieux que le christianisme, et avant lui, il a reconnu le néant des choses terrestres. Ses pratiques sont austères, ses fidèles plus nombreux que tous les chrétiens, et pour l’incarnation, Vischnou n’en a pas une, mais neuf ! Ainsi, jugez ! »

— « Des mensonges de voyageurs » dit Mme de Noaris.

— « Soutenus par les francs-maçons » ajouta le curé.

Et tous parlant à la fois : — « Allez donc – Continuez ! – Fort joli ! – Moi, je le trouve drôle – Pas possible » si bien que Pécuchet exaspéré, déclara qu’il se ferait bouddhiste !

— « Vous insultez des chrétiennes ! » dit le baron. Mme de Noaris s’affaissa dans un fauteuil. La comtesse et Yolande se taisaient. Le comte roulait des yeux ; Hurel attendait des ordres. L’abbé, pour se contenir, lisait son bréviaire.

Cet exemple apaisa M. de Faverges ; et considérant les deux bonshommes :

— « Avant de blâmer l’Évangile, et quand on a des taches dans sa vie, il est certaines réparations... »

— « Des réparations ? »

— « Des taches ? »

— « Assez, messieurs ! Vous devez me comprendre ! » Puis s’adressant à Fourreau : « Sorel est prévenu ! Allez-y ! » Et Bouvard et Pécuchet se retirèrent sans saluer.

Au bout de l’avenue, ils exhalèrent tous les trois leur ressentiment : — « On me traite en domestique » grommelait Foureau ; – et les autres l’approuvant, malgré le souvenir des hémorroïdes, il avait pour eux comme de la sympathie.

Des cantonniers travaillaient dans la campagne. L’homme qui les commandait se rapprocha. C’était Gorgu. On se mit à causer. Il surveillait le cailloutage de la route votée en 1848, et devait cette place à M. de Mahurot, l’ingénieur, « celui qui doit épouser Mlle de Faverges ! Vous sortez de là-bas, sans doute ? »

— « Pour la dernière fois ! » dit brutalement Pécuchet.

Gorgu prit un air naïf : — « Une brouille ? tiens, tiens ! »

Et s’ils avaient pu voir sa mine, quand ils eurent tourné les talons, ils auraient compris qu’il en flairait la cause.

Un peu plus loin, ils s’arrêtèrent devant un enclos de treillage, qui contenait des loges à chien, et une maisonnette en tuiles rouges.

Victorine était sur le seuil. Des aboiements retentirent. La femme du garde parut.

Sachant pourquoi le maire venait, elle héla Victor.

Tout d’avance était prêt, et leur trousseau dans deux mouchoirs, que fermaient des épingles. « Bon voyage ! » leur dit-elle, heureuse de n’avoir plus cette vermine.

Était-ce leur faute, s’ils étaient nés d’un père forçat ! Au contraire ils semblaient très doux, ne s’inquiétaient pas même de l’endroit où on les menait.

Bouvard et Pécuchet les regardaient marcher devant eux.

Victorine chantonnait des paroles indistinctes, son foulard au bras, comme une modiste qui porte un carton. Elle se retournait quelquefois ; et Pécuchet, devant ses frisettes blondes et sa gentille tournure, regrettait de n’avoir pas une enfant pareille. Élevée en d’autres conditions, elle serait charmante plus tard : quel bonheur que de la voir grandir, d’entendre tous les jours son ramage d’oiseau, quand il le voudrait de l’embrasser ; – et un attendrissement, lui montant du cœur aux lèvres, humecta ses paupières, l’oppressait un peu.

Victor comme un soldat, s’était mis son bagage sur le dos. Il sifflait, jetait des pierres aux corneilles dans les sillons, allait sous les arbres, pour se couper des badines. Foureau le rappela ; et Bouvard, en le retenant par la main jouissait de sentir dans la sienne ces doigts d’enfant robustes et vigoureux. Le pauvre petit diable ne demandait qu’à se développer librement, comme une fleur en plein air ! Et il pourrirait entre des murs avec des leçons, des punitions, un tas de bêtises ! Bouvard fut saisi par une révolte de la pitié, une indignation contre le sort, une de ces rages où l’on veut détruire le gouvernement.

— « Galope ! » dit-il. « Amuse-toi ! Jouis de ton reste ! »

Le gamin s’échappa.

Sa sœur et lui coucheraient à l’auberge – et dès l’aube, le messager de Falaise prendrait Victor pour le descendre au pénitencier de Beaubourg. Une religieuse de l’orphelinat de Grand-Camp emmènerait Victorine.

Foureau, ayant donné ces détails, se replongea dans ses pensées. Mais Bouvard voulut savoir combien pouvait coûter l’entretien des deux mioches.

— « Bah !... L’affaire, peut-être, de trois cents francs ! Le comte m’en a remis vingt-cinq pour les premiers débours ! Quel pingre ! »

Et gardant sur le cœur, le mépris de son écharpe, Foureau hâtait le pas, silencieusement.

Bouvard murmura : — « Ils me font de la peine. Je m’en chargerais bien ! »

— « Moi aussi » dit Pécuchet, la même idée leur étant venue.

Il existait sans doute des empêchements ?

— « Aucun ! » répliqua Foureau. D’ailleurs il avait le droit comme maire de confier à qui bon lui semblait les enfants abandonnés. – Et après une longue hésitation : — « Eh bien oui ! prenez-les ! Ça le fera bisquer. »

Bouvard et Pécuchet les emmenèrent.

En rentrant chez eux, ils trouvèrent au bas de l’escalier, sous la madone, Marcel à genoux, et qui priait avec ferveur. La tête renversée, les yeux demi clos, et dilatant son bec-de-lièvre, il avait l’air d’un fakir en extase.

— « Quelle brute ! » dit Bouvard.

— « Pourquoi ? Il assiste peut-être à des choses que tu lui jalouserais, si tu pouvais les voir. N’y a-t-il pas deux mondes, tout à fait distincts ? L’objet d’un raisonnement a moins de valeur que la manière de raisonner. Qu’importe la croyance ! Le principal est de croire. »

Telles furent à la remarque de Bouvard les objections de Pécuchet.

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