|
À Émile Zola.
[Croisset] vendredi soir [5 janvier
1877].
Votre lettre m’a fait grand plaisir, mon
cher ami, et il me tarde, comme à vous, de nous voir.
Ce sera de dimanche prochain en quatre
semaines. Je compte partir d’ici le 3 février. Hélas ! Je n’arriverai
point avec Hérodias terminée. Je n’en serai qu’à la fin de la
seconde partie, mais la troisième sera fortement esquissée. Je travaille
beaucoup et n’avance guère. D’ailleurs je n’y vois plus goutte. Quant à
la santé, elle est splendide.
Et la vôtre ? Vous ne me parlez pas de
votre coeur !
Quand sera-t-elle jouée, votre farce pour
le Palais-Royal ? Je vous assure que j’y serai beau comme énergumène.
Ne m’envoyez pas votre Assommoir, ça
me perdrait. Je serais dessus trois jours, et mon départ en serait retardé.
Je crève d’envie de le lire, et je
vous assure que ma résolution est héroïque.
Mais remettez-le chez mon portier le 1er ou
le 2 février.
Ce que j’ai souffert de n’avoir personne
près de moi pour deviser de cet excellent Germiny est inimaginable. C’est
dans ces moments là qu’on sent le besoin d’un ami ! Quelle
histoire ! Moi, ça me fait croire à Dieu ! On devrait à cet
homme-là une récompense nationale, tout amuseur étant un bienfaiteur !
Adieu, ou plutôt à bientôt. Amitiés aux
camarades et tout à vous.
Mettez-moi de côté les bêtises qui seront
dites sur l’Assommoir.
***
À sa nièce Caroline.
Croisset, dimanche, 2 heures [7 janvier
1877.]
Mon loulou,
J’ai été fort inquiet de n’avoir pas
de tes nouvelles, car ta lettre de jeudi ne m’est arrivée qu’hier. Avec ma
belle imagination, je me figurais les choses les plus sinistres et, tous ces
jours-ci, le facteur n’est arrivé qu’entre 2 et 3 heures de l’après-midi !
Hier matin, j’ai été trois fois sur le quai pour le voir venir. Enfin, j’ai
eu ta bonne petite lettre ! [...]
Sans doute tu as vu le bon Laporte et il t’aura
conté ses tristes affaires. Elles m’ont navré ! le pauvre
garçon a eu un mot exquis, après me les avoir dites : "c’est un
rapport de plus entre nous deux". Comme s’il était content de sa ruine,
qui le fait me ressembler !
Un peu avant son arrivée, j’avais eu la
visite de Juliette et de son fils, qui ont beaucoup insisté pour que j’aille
dîner à l’Hôtel-Dieu.
[...] Le jour de l’an, pour ne pas
faire la bête, vers 5 heures, je me suis acheminé à pied vers
Rouen ; le Mont Riboudet m’a paru plus lugubre que jamais ! Au coin
du jardin de ma maison natale, j’ai retenu un sanglot et je suis entré. J’avais
pour commensaux un M. X ***, ancien bourgeois de Rouen, avec sa femme
complètement sourde, et son fils, un serin, membre du barreau de Paris. De
plus, l’inévitable Z***, qui a été le joli coeur de la société. Mon
frère n’a pas dit un mot ! Il est d’une tristesse farouche, d’une
irritabilité nerveuse excessive, et en somme, très malade, selon moi !...
Juliette (que j’ai trouvée très
gentille) m’a dit que ses parents lui en voulaient toujours de ce qu’elle
habite Paris. Je te donnerai d’autres détails sur ce repas, lequel était
archi-luxueux.
Décidément, je suis amoureux de la
mère Grout ! Toute la famille était réunie, mardi, quand j’ai été
voir Frankline et lui remettre le Balzac. On n’imagine pas une chose
plus charmante que la manière dont elle regardait ses enfants et caressait la
main de son fils ! J’en étais attendri jusqu’aux moelles.
Après quoi, j’ai été au
cimetière !...
Puis dîner chez les Lapierre. Mes
"anges" sont bien futiles ! Je crois qu’elles aiment, en moi, l’homme ;
mais, quant à l’esprit, je m’aperçois même que souvent je les choque, ou
que je leur parais insensé. Tout cela m’a fait perdre deux jours !
Néanmoins, je compte avoir fini ma deuxième partie d’aujourd’hui en
quinze ; je préparerai la troisième, puis tu me reverras, car il m’ennuie
beaucoup de ma pauvre fille. Je tâche de n’y point songer. Mon départ est
fixé pour le 3 février, au plus tard.
Zola m’a écrit, au nom de tout le petit
cénacle, une lettre très aimable. Je lui gâte son hiver. On ne sait plus que
faire le dimanche. Dans le dernier dîner, ils ont porté un toast en mon
honneur.
Puisque tu fais des visites, va donc voir ce
pauvre Moscove : il t’en sera reconnaissant et ce sera une bonne action,
puisqu’il est malade.
Quel est ton rêve à propos de
Claude-Bernard ?...
Et tu n’as pas encore lu la Prière à
Minerve de Renan ? Cela me choque. Il me semble que mon élève devrait
faire les lectures que je lui prescris. Sabatier ne partage pas absolument mon
enthousiasme. Tant pis pour lui !
Voici un verset d’Isaïe que je me
répète sans cesse et qui m’obsède, tant je le trouve sublime :
"Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui apporte
de bonnes nouvelles !"
Creuse-moi ça, songes-y ! Quel
horizon ! Quelle bouffée de vent dans la poitrine !
Du reste, je suis perdu dans les prophètes.
Adieu, pauvre chat. Deux bons baisers de
Ta Nounou qui te chérit.
***
À Guy de Maupassant.
Entièrement inédite en 1930.
Mercredi [janvier 1877.]
[Flammarion : 10 janvier 1877]
Mon cher Ami,
Moi, à votre place, voici ce que je
ferais :
J’irais franchement chez Duval, et lui
dirais tout ce que vous m’écrivez. En lui faisant comprendre que vous
ne pouvez pas continuer à perdre ainsi votre temps.
À moins que vous ne préfériez attendre
mon retour, que j’ai fixé au 3 février. Donc, de dimanche prochain en trois
semaines, on s’embrassera. Que de choses n’aurons-nous pas à nous
dire !
Si vous saviez comme j’ai souffert de n’avoir
personne avec qui causer de ce bon Germiny !
Voyez-vous quel trouble cette histoire-là a
dû produire dans "l’Hôtel des Farces" et le plaidoyer du Garçon
par Germiny ! ! !
L’âme du Vieux se répand sur la
capitale.
Je continue à travailler phrénétiquement
et vous embrasse.
Votre.
***
À sa nièce Caroline.
Croisset, vendredi, 5 heures [12 janvier
1877].
[...] Maintenant, pauvre chat,
embrassons-nous !
[...] Ma deuxième partie sera achevée dans
trois ou quatre jours ; donc, au 3 février, le plan de la dernière sera
bien développé, et peut-être en aurai-je écrit la moitié ?
Il est vrai que je travaille sans
discontinuer, à table et dans mon lit, car je ne dors presque plus du tout.
[...]
Après une pioche aussi violente que celle
où je suis plongé (car, depuis un an, sauf quinze jours au mois de septembre,
monsieur a été dans une création permanente), je serai bien aise de prendre
"a little entertainment".
Donc, préparez-vous à me combler de
douceurs, et surtout à avoir de bonnes mines ! Il faudra être folichon
pour récréer Vieux. Je tâcherai de ne pas m’impatienter à propos de la
cuisinière ; mais je redoute d’avance le tapage des voitures ! Le
silence absolu qui m’entoure est, je suis sûr, une grande cause d’exaltation
intellectuelle. Pour que l’imagination soit libre, il faut ne sentir aucun
poids sur soi.
Tu continues toujours à te livrer à la
physiologie. Très bien ! Ma joie serait de te voir enfoncer "un
bon docteur", ce qui ne sera pas difficile, dans quelque temps, ces
messieurs étant généralement d’une ignorance crasse. Voilà la vraie
immoralité : l’ignorance et la bêtise ! Le diable n’est pas
autre chose. Il se nomme Légion.
Je m’étonne que tu n’aies pas compris
la grandeur et la vérité de la Prière à Minerve ! Elle résume l’homme
intellectuel du XIXe siècle. Quant au reste de l’article, ce n’est que
bien, et encore ? La vie manque à ces souvenirs ; on ne voit pas les
personnages. Ton observation sur saint Paul n’est pas juste, car Renan ne dit
rien qui ne soit parfaitement historique.
"Le Dieu inconnu" est une ânerie
de l’apôtre, révérence parler.
Tâche, ma Caro, de m’écrire un peu
longuement : tes lettres sont ma seule distraction.
C’est le 26 courant la fête de saint
Polycarpe. Je la fêterai mentalement, étant un autre
SAINT moi-même,
et qui te bécote.
***
À sa nièce Caroline.
Croisset, mercredi soir, 11 heures, 17
janvier 1877.
Oui, ma pauvre fille, vous m’avez fait
passer deux ou trois mauvais jours. Tâche qu’ils ne se renouvellent pas.
Parlons d’abord des choses embêtantes. [...]
Laporte est venu aujourd’hui. Il est
décidé, s’il ne trouve rien, à rester (quand même) à Couronne et à y
vivoter n’importe comment pour ne pas quitter sa maison, ce que je comprends
parfaitement : à un certain âge le changement d’habitude, c’est la
mort.
Il venait de me quitter que Lapierre est
venu. Pendant deux heures et demie j’ai pris des notes qu’il me dictait sur
une dame, à propos d’un roman inspiré par lui le jour que nous avons été
ensemble au Vaudreuil. La conclusion que j’avais imaginée se passe
maintenant ! J’avoue que cela m’a flatté. J’avais préjugé que la
dame finirait par un mariage riche et catholique. C’est ce qui se conclut
présentement. Voilà une preuve de jugement, hein ?
Aussi n’ai-je rien fait de toute la
journée ! Ce dont j’enrage, car je voudrais bien avoir tout fini pour le
15. Quand j’arriverai à Paris, il ne me restera que le grand morceau final,
sept ou huit pages ! Donc, il me sera impossible d’être à Paris avant
le 3. J’en suis à compter les minutes. Tant pis pour Mme Régnier. "Tout
pour les dames", ça se dit. Mais "l’Art avant tout", ça se
pratique.
Ce matin, j’ai eu une conversation exquise
avec Mamzelle Julie. En parlant du vieux temps, elle m’a rappelé une foule de
choses, de portraits, d’images qui m’ont dilaté le coeur. C’était comme
un coup de vent frais. Elle a eu (comme langage) une expression dont je me
servirai. C’était en parlant d’une dame : "elle était bien
fragile... orageuse même !" Orageuse après fragile est
plein de profondeur.
Guy m’avait envoyé un article de lui sur
la poésie française au XVIe siècle, que je trouve excellent.
Pourquoi méprises-tu les portraits de tes
ancêtres ? Ils s’abîment au grenier ; je vais les accrocher dans
le corridor. Premièrement, ça fera un peu de couleur, et puis ils sont si
naïfs que ça vous entraîne dans des rêveries historiques, lesquelles ne
manquent pas de charme...
Maintenant, mon Caro, il ne faut pas se
coucher, mais se mettre au festin de Machaerous ! Ce sera un fort "gueuloir",
comme disait mon pauvre Théo.
Écris-moi de vraies lettres.
Ta vieille Nounou.
***
À Guy de Maupassant.
Croisset, 17 janvier 1877.
Mon cher Guy,
Je trouve très bien votre article sur la
poésie française.
Cependant j’aurais voulu un peu plus d’éloge
de Ronsard. Je vous dirai en quoi je trouve que vous ne lui rendez peut-être
pas une justice suffisante. Mais encore une fois je suis très content de vous.
Si vous voyez Catulle et que sa pièce de l’Ambigu
ne soit pas jouée avant le 5 février, dites-lui que j’irai l’applaudir.
J’ai la tête cuite, mon bon.
Je vous embrasse.
***
À sa nièce Caroline.
Croisset, dimanche, 2 heures, 21 janvier
1877.
Je suis en train d’appendre aux murs les
portraits de tes aïeux, et j’ai pour m’aider le fils Senard, comme page
espagnol !...
À propos de portraits, j’ai envie de
mettre la miniature de mon grand-père Fleuriot au coin de ma cheminée, sous la
petite photographie représentant ton profil napoléonien que j’aime tant, mon
cher loulou ! Je me fie à tes connaissances picturales pour savoir si on
peut la réparer, et si ce serait cher. Tes relations artistiques te permettent
de faire cela, à bon compte.
Je me suis promené deux heures à Canteleu
avant-hier. Il faisait tellement beau qu’à un moment j’ai défait ma
douillette d’ecclésiastique, je suis resté en gilet, adossé contre les
barreaux de défunt "Lhuintre fils aîné". Tout à l’heure j’ai
marché une grande heure dans le jardin et dans les cours, en contemplant la
diversité des feuillages et en humant le brouillard avec délices.
Monsieur est entré ce matin dans son lit à
5 heures, n’était pas endormi à 6 et fut réveillé à 9 par cette fin de
phrase "... un sultan des bords de l’Euphrate, des marins d’Éziongaber !"
[...] Maintenant, ma chère fille, d’ici
à mon départ je ne t’écrirai que de courts billets. J’en suis à compter
les minutes. Je voudrais tant livrer Hérodias au Moscove le 15
février ! Nous verrons s’il tiendra sa parole ! Au moins, n’aurai-je
aucun reproche à me faire.
Mais il faudra se délasser un peu à Paris.
J’exige : bons vins, jolies liqueurs, aimables sociétés, argent
de poche, figures hilares et joyeux devis.
Il n’y a qu’une seule chose que je ne
réclame pas, c’est la tendresse de ma Caro, étant sûr de l’avoir.
Ta vieille Nounou.
Je suis très content de Chevalier. Il ne m’agace
pas les nerfs, loin de là ; il est de relations agréables. C’est pour
moi la qualité principale dans autrui. On ne la possède pas.
***
À Alfred Baudry.
[Croisset] mercredi 24 j[anvier 18]77.
Mon petit père,
Seriez-vous assez aimable pour me prêter la
Philosophie du Vieux. Je vous la garderais cinq ou six jours ; bref,
vous l’auriez à la fin de la semaine prochaine. C’est pour faire connaître
ce divin livre à un ami qui viendra chez moi.
Si cela ne vous contrarie pas, je l’enverrai
chercher chez vous lundi prochain, à moins que vous ne préfériez me l’apporter
vous-même ici, en y venant déjeûner samedi ou dimanche.
Je prends mon vol vers la capitale de samedi
en huître, le 3 février.
Réponse immédiate, S. V. P. Et tout à
vous.
***
À sa nièce Caroline.
Croisset, nuit de mercredi [24-25 janvier
1877].
Chérie,
Merci du billet de ce matin. J’en avais
besoin et je n’ai pas entretenu de danseuses, cet hiver ! Mes
étrennes ne furent pas sardanapalesques. Je ne t’ai pas dit que depuis votre
départ je suis dans un supplice permanent, à cause du bois ! Si
bien que souvent, la nuit, j’ai passé des heures la fenêtre ouverte,
mon feu s’éteignant, quand il ne fume pas ! Ce sera un des agréments de
Paris que d’avoir d’autre bois ! Ai-je juré et tempêté ! Hier,
j’en étais vraiment malade.
Et voici le moment de nous revoir qui
approche, mon pauvre loulou ! Tant mieux !
Lundi ou dimanche j’espère n’avoir plus
que cinq pages ! Nous verrons si le Moscove sera actif.
Je viens de l’inviter à dîner pour
dimanche 4 février. Prie de ma part Mme Régnier de venir ; je n’ai pas
le temps de lui écrire. Et convie également à "cette petite fête de
famille" mon élève Guy le chauve.
J’ai écrit à Masquillier pour avoir un
costume de chambre et au sieur Prout pour qu’il me fasse des pantoufles ;
car je suis en guenilles et ma fameuse nièce me repousserait si j’arrivais en
chaussons de Strasbourg. Mais je voudrais savoir si :
1° J’ai là-bas, dans ma chambre :
un frottoir de peau ;
2° Des éponges.
3° Il me faudrait d’autres cravates
blanches, les miennes sont trop démodées. De petits rubans me semblent
mieux !
Tu peux tout arranger ! Maintenant ce
ne sera pas long.
Valère doit aller vous voir demain.
Il couchera ici d’aujourd’hui en huit.
Adieu, pauvre chat. Je t’embrasse bien
fort.
Nounou ou
la Perle des oncles.
P-S. – Dernier mot de Mamzelle
Julie : "c’est nous qui ramouvons les connaissances du vieux
temps !"
***
À sa nièce Caroline.
[Croisset, dimanche, 1 heure, 28 janvier
1877].
Loulou,
[...] Je viens d’expédier mon pantalon au
chemin de fer, mais je ne comprends pas que Masquillier ait besoin d’un
modèle, puisqu’il me fait des pantalons de ce genre-là, depuis trente-cinq
ans environ.
Je me suis commandé des pantoufles en
velours chez Prout. Quand elles arriveront, daigne me faire des
bouffettes ; tu seras bien gentille.
Achète-moi deux éponges de géant, de l’eau
de Cologne, de l’eau dentifrice et de la pommade ou plutôt de l’huile qui
sent le foin (rue saint-Honoré).
De plus : commande-moi quatre paires de
gants gris perle et deux de Suède à deux boutons.
Il me semble qu’on pourrait accrocher la
tête de renne dans ma salle à manger, entre les deux portes...
Si Mme Régnier ne peut venir dimanche
prochain (ou même si elle le peut), invite Georges Pouchet (à son défaut, je
ne vois que Frankline et son époux).
Je suis malade de la peur que m’inspire la
danse de Salomé ! Je crains de la bâcler. Et puis, je suis à bout de
forces. Il est temps que ça finisse, et que je puisse dormir. Il me restera
encore deux ou trois pages quand tu me verras. J’ai besoin de contempler une
tête humaine fraîchement coupée.
Je t’embrasse, en tombant sur les bottes.
Vieux.
***
À Georges Charpentier.
Croisset, 1er février [1877].
Monsieur Gustave Flaubert a l’honneur de
vous prévenir que :
ses Salons
seront ouverts à partir de dimanche
prochain 4 février 1877.
Il espère votre visite.
Les dames et les enfants sont admis.
***
À Jules Troubat.
[Paris], mercredi matin [7 février
1877].
240, faubourg saint-Honoré.
Me voici revenu, cher ami, et prêt à vous
recevoir quand il vous plaira.
Comme je suis un peu en l’air maintenant,
car je me repose, je vous engage à venir le matin vers 10 heures.
À tout hasard, je vous attends vendredi.
Tout à vous.
***
À Madame Roger des Genettes.
Paris, 15 février 1877.
Hier, à 3 heures du matin, j’ai fini de
recopier Hérodias. Encore une chose faite ! Mon volume peut
paraître le 16 avril. Il sera court, mais cocasse, je crois.
J’ai travaillé cet hiver d’une façon
frénétique ; aussi suis-je arrivé à Paris dans un état lamentable.
Maintenant, je me remets un peu. Pendant les huit derniers jours j’avais dormi
en tout dix heures (sic). Je me soutenais avec de l’eau froide et du
café.
Mon silence à votre endroit n’avait pas d’autre
cause que cette pioche forcenée, mais combien j’ai pensé à vous ! Il
me semble que vous êtes très souffrante et plus triste que jamais. Pour me
prouver le contraire, il faut m’écrire une lettre démesurée ; un des
jours de la semaine prochaine, j’irai voir Mme de Valazé.
Pourquoi vous obstinez-vous à ne pas venir
à Paris ? Croyez-en un vieux docteur en maladies morales : vous avez
tort. Vous vous complaisez dans votre chagrin et dans votre solitude.
Mauvais ! Mauvais ! Et puis (car l’égoïsme est au fond de tout) je
crève d’envie de vous lire Un Coeur simple et Hérodias ; l’aveu
est fait !
Que vous dirai-je bien ? Quand je me
serai un peu reposé, je reprendrai mes deux bonhommes auxquels j’ai beaucoup
songé cet hiver, et que j’entrevois maintenant d’une façon plus vivante et
moins artificielle. Il m’est venu aussi l’idée de deux livres que je compte
faire, si Dieu me prête vie.
En fait d’inepties : succès de l’Hetman !
Quels vers !
Le père Hugo, dans huit jours, va faire
paraître deux volumes de la Légende des Siècles.
Ce vieux burgrave est plus jeune et plus
charmant que jamais. Je le vois très souvent.
Avez-vous lu, dans la Revue des Deux
Mondes, la "Prière à Minerve" de Renan ? Personne n’admire
cela autant que moi.
***
À Madame Tennant.
Paris, 16 février 1877.
Ma vieille amie, ma chère Gertrude.
Comment allez-vous, vous d’abord, puis vos
deux filles, votre fils, et tout ce que vous aimez, tout ce qui vous
intéresse ?
Dimanche dernier, j’ai été agréablement
surpris de voir entrer chez moi Hamilton. J’aime à croire qu’il vous a
calomniée, car il m’a dit que vous ne viendriez pas à Paris ce printemps. Il
se trompe, n’est-ce pas ?
J’ai travaillé cet hiver
frénétiquement. Aussi mon volume peut paraître à la fin d’avril prochain.
Tourgueneff commence aujourd’hui à traduire le troisième conte. Il paraîtra
en français dès qu’il sera paru en russe.
À propos de littérature, pouvez-vous me
rendre le service suivant ? Vous n’ignorez pas qu’on veut élever à
Paris une statue à George Sand ? Une commission s’est formée dans ce
but, et j’en fais partie. Le président m’a demandé aujourd’hui si je ne
connaissais pas lord Houghton. Je me suis rappelé qu’il était de vos amis.
Donc pouvez-vous lui demander s’il consent à laisser mettre son nom parmi les
membres de la commission ? C’est un honneur que nous lui demandons de
nous faire. Cette condescendance ne l’engagera à rien de plus. S’il y
consent, on lui adressera cette demande officiellement. Voulez-vous, chère
Gertrude, vous charger de cette commission ?
Vous rappelez-vous la famille Bonenfant, à
Trouville ? La seconde fille (qui n’était pas née en 1842) a tellement
entendu parler de vous à ses parents, qu’elle donnera votre nom de Gertrude
à une fille dont elle doit accoucher dans trois mois. C’est son
beau-frère qui m’a appris cela, ce matin, et ça m’a fait bêtement plaisir.
Mais pourquoi bêtement ? Effacez cet adverbe.
Remerciez bien Dolly pour sa gentille
épître. Comme les choses sont mal arrangées dans ce monde ! Pourquoi ne
vivons-nous pas dans le même pays ? J’aurais tant de plaisir à vous
voir souvent ! Et à renouer la chaîne du vieux temps, qui n’a jamais
été brisée d’ailleurs.
Il me semble que nous avons bien des choses
à nous conter dans le "silence du cabinet", ma chère Gertrude !
Une question : Pourquoi paraissez-vous
étonnée de ce que j’aie pu faire un conte intitulé : Un Coeur
simple ? Votre ébahissement m’intrigue. Douteriez-vous de mes
facultés de tendresse ? Vous n’avez pas ce droit-là, vous !
Je cause souvent de vous avec Caroline.
Mille bénédictions sur votre maison. Je vous serre et baise les deux mains.
***
À Madame Roger des Genettes.
[Paris, février 1877].
*** vous dépasse dans la répulsion que lui
cause l’Assommoir ; son dégoût ressemble à de la fureur et la
rend parfaitement injuste. Il serait fâcheux de faire beaucoup de livres comme
celui-là ; mais il y a des parties superbes, une narration qui a de
grandes allures et des vérités incontestables. C’est trop long dans la même
gamme, mais Zola est un gaillard d’une jolie force et vous verrez le succès
qu’il aura.
Le père Didon m’a donné hier de vos
nouvelles et je me suis senti jaloux. Quel malheur qu’il soit moine, et que j’aie
des préventions invétérées ! Je ne crois jamais à l’esprit libéral
des corporations : elles obéissent à un mot d’ordre et je déteste
autant messieurs les militaires que messieurs les ecclésiastiques. Je froisse
vos sentiments, mais tant pis ; si on ne se froissait jamais, on ne s’aimerait
guère. Moi j’ai des brutalités de gendarme et des sensibilités d’Almanzor ;
Almanzor est moins connu.
Allons, une bonne poignée de main avant que
vous n’ayez le petit frémissement de la lèvre qui annonce que vous êtes
très en colère.
Malgré tout, écrivez-moi très longuement.
Quand je reçois vos lettres, je les tâte, avant de les ouvrir, avec une sorte
d’angoisse, tant j’ai peur qu’elles ne soient trop courtes.
***
À Madame Tennant.
[Paris], vendredi soir [février-mars
1877].
Ma chère Gertrude,
Je vous remercie de vous être occupée de
mon affaire, et je viens encore vous demander un service.
Puisque votre ami lord Houghton est si plein
de bonne volonté, il faudrait qu’il composât à Londres un comité (dont il
serait le président) et qui correspondrait avec celui de Paris (dont Victor
Hugo est le président).
Mrs Lewes (George Eliot) adhère à notre
oeuvre. Lord Houghton aurait la bonté de l’admettre parmi les membres de la
commission anglaise. Lord Houghton peut correspondre directement et en anglais
avec notre secrétaire, M. Edmond Plauchut. Je recevrai prochainement une
adresse imprimée de Victor Hugo.
Voilà tout, ma chère Gertrude.
Mon petit volume de contes est maintenant
sous presse et paraîtra vers la fin d’avril. Le Coeur simple sera
publié quelques jours auparavant dans le Moniteur. Je vous l’enverrai
tout de suite, ce sera le moyen de vous faire penser à moi deux fois.
Que dites-vous que bien des choses nous
séparent ? Pour moi il n’en est qu’une, l’espace ! Quant à
tout le reste, je passe à travers et vous suis attaché dans toute la force du
terme.
Comme j’ai envie de vous voir ! Comme
j’aurais des choses à vous dire, seul à seul, au coin du feu !
Savez-vous comment je vous appelle au fond de moi-même, quand je songe à
vous ? (ce qui arrive souvent). Je vous nomme "ma jeunesse".
Bénédiction sur vous et ce que vous aimez
et, du fond du coeur, à vous.
***
À Georges Charpentier.
[Paris], mardi, 13 [mars 1877].
Mon cher Ami,
J’ai répondu à ce monsieur de s’adresser
à vous, car j’ignore quels sont mes droits. À qui maintenant appartient la
traduction ?
Mais, il y a déjà une traduction de Bovary ?
Si c’est à moi que revient le prix de la
traduction (ce que je crois), faites le marché pour moi et tâchez de me tirer
un billet de 500 francs.
Je ne vous parle plus de Saint
Antoine !!!
On n’a pu me dire chez vous votre adresse
au bois de Boulogne ; et voilà quinze jours que j’attends un article sur
Salammbô que vous deviez m’envoyer. Enfin !
Et je suis de plus en plus crevant.
À vous.
***
À Georges Charpentier.
[Paris], jeudi, 2 heures [mars 1877].
Mon cher Ami,
Je n’irai pas demain chez vous, ni ma
nièce non plus, à cause de la mort de son père.
Mais je voudrais vous voir, afin de causer sérieusement
de notre publication. Il est temps de s’y mettre si nous voulons paraître
du 15 avril au 1er mai. Mes copies sont revues, corrigées, et vous pourrez les
emporter.
Voulez-vous venir demain, avant ou après
votre déjeuner ? Ou bien après-demain ?
N. B. – Se méfier du brocheur de
la maison Claye. Il y avait l’autre jour, chez Hugo, des plaintes formidables
à ce sujet.
Tout à vous.
***
Au docteur Le Plé.
[Paris], jeudi soir [29 mars 1877].
Cher Monsieur,
Je sais par notre ami Laporte que hier vous
avez pris vigoureusement notre défense.
Je vous enverrai très prochainement le
nombre exact des représentations que vous demandez.
Quant à la biographie de Bouilhet et à une
appréciation de ses oeuvres, je ne saurais mieux faire que de vous indiquer ma
préface à son volume de Dernières Chansons. Par le même courrier, j’écris
à Rouen pour que l’on vous remette tout de suite ce volume.
D’après la lettre de Laporte, il me
semble que le Conseil municipal ne veut pas comprendre la question. On ne
lui demande pas d’honorer Bouilhet, mais de nous permettre de doter Rouen d’une
fontaine, sous la condition d’une certaine décoration où il y aura un buste
de Bouilhet.
C’est une question de voierie, et non de
littérature. Si nous demandions à orner notre fontaine de la figure d’un
gorille, on devrait nous en accorder la permission, puisque nous voulons faire
à la ville cadeau d’un monument d’utilité publique.
En dépit de ce mauvais vouloir, nous
réussirons grâce à vous. Je vous en remercie du fond du coeur et vous serre
les mains cordialement, en vous assurant, cher monsieur, que je suis tout à
vous.
***
|
|